103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

Actes
du colloque 2003
là les toutes premières toiles de Lautrec, de Bonnard, de Vuillard, de
Roussel, de Sérusier, de Ranson, d'autres artistes oubliés depuis mais qui
nous enchantaient, tels que Jan Verkade ou Filiger. Il n'y avait rien d'analogue
à Paris, sinon la boutique du père Tanguy. Manet, Degas et les impressionnistes
se tenaient chez Durand-Ruel.
« Inutile de décrire le père Tanguy. Tout le monde connaît son portrait
par Van Gogh. Il avait, rue Clauzel, une petite boutique de cordonnier,
peinte en bleu canard clair. Dans l'une des vitrines étaient des chaussures
retournées avec leur marque à la craie sur la semelle, et des boites de cirage.
Dans l'autre, des tableaux de Van Gogh, de Cézanne, de Maximilien Luce,
de Léon-Gausson, de Cavallo-Peduzzi, de Gauguin et d'Emile Bernard (tout
le monde se souvient de l'école de Pont-Aven et de la querelle Gauguin-
Bernard), et tant d'autres. Les prix en étaient de 30 à 100 francs.
« Un jour, nous arrivons chez lui et il nous dit : " J'ai une nouveauté " :
c'était l'Homme à la pipe, de Cézanne ! " Et qu'est-ce que ça coûterait,
ça? " lui dit Jourdain, à tout hasard. Tanguy lui répondit, sans oser nous
regarder, comme s'il disait une chose énorme: " Oh! celui-là, je ne le laisserais
pas à moins de 200 francs ! " Jourdain et moi, nous avions envie
d'avoir ces tableaux chez nous, et de les garder toute la vie ! Mais nous
n'avions pas un sou.
« Nous fondons L'Art littéraire avec Jarry, Cremnitz et Louis Libaude,
un commissaire-priseur qui signait en littérature Louis Lormel [...] »
À part ce bref récit, et les quelques critiques sur la peinture publiées par
les deux amis, on disposait en réalité, sur les années qui nous intéressent,
de peu de documents qui permettaient de suivre leur découverte de l'art, et
l'évolution de leur relation. Seulement quelques lettres de Fargue à Jarry et
à ses parents publiées par Jean-Paul Goujon 4, cinq lettres de Charles Filiger''
et une du Douanier Rousseau à Jarry, quelques lettres de Jarry à A. Vallette,
attestant en particulier la rencontre avec Gauguin, et c'est à peu près tout
pour 1893 et 1894.
Pour Fargue, qui hésitait encore en 1893 entre littérature et peinture, on
se demandait toujours s'il avait été inscrit au lycée Henri-IV, s'il avait participé
avec Jarry au concours de L'Écho de Paris, enfin quelles furent ses relations
avec Jarry, amicales ou « adelphiques », et la cause de leur éloignement.
Ultérieurement, pour 95-96 on dispose de plus d'éléments sur leur passion
pour l'image, notamment pour Jarry : réalisation de L'Ymagier avec
4. Jean-Paul Goujon, « Fargue et Jarry », L'Étoile-Absinthe, 43-45 es
tournées, 1989. Voir
aussi : Jean-Paul Goujon, Léon-Paul Fargue, Gallimard, 1997, » et Louise Rypko-
Schub, Léon-Paul Fargue, Droz, Genève, 1973.
5. « Lettres de Ch. Filiger », Cahiers du Collège de 'Pataphysique, n° 22-24,1956, pp. 7-18.
9