AGATHA CHRISTIE ALLÔ, HERCULE POIROT… Le Masque
LA DISPARITION DE Mr DAVENHEIM (DISAPPEARANCE OF MR. DAVENHEIM) Assis auprès de la table à thé, <strong>Poirot</strong> et moi, nous attendions notre vieil ami l’inspecteur Japp qui devait partager notre goûter. Un coup sec précéda de quelques instants l’entrée brusque de Japp. — J’espère que je ne suis pas en retard, dit-il en nous saluant ; pour ne rien vous cacher, j’étais en train de bavarder avec Miller, l’inspecteur qui s’occupe de l’affaire Davenheim. Je dressai l’oreille. Depuis trois jours, les journaux étaient pleins de l’étrange disparition de Mr Davenheim, principal associé de la firme Davenheim & Salmon, les financiers et banquiers bien connus. On l’avait vu sortir de chez lui le samedi précédent et il n’avait pas reparu. Je brûlais d’arracher à Japp quelque détail intéressant. — J’aurais cru, remarquai-je, qu’il était impossible de disparaître à l’heure actuelle. <strong>Poirot</strong> avança une assiette de minuscules tartines beurrées et dit vivement : — Soyez précis, mon ami. Qu’entendez-vous par disparaître ? À quelle sorte de disparition faites-vous allusion ? — Les disparitions sont-elles donc classées et étiquetées ? demandai-je en riant. — Mais naturellement, elles le sont. Elles se ramènent à trois catégories : la première et la plus connue, est la disparition volontaire ; la deuxième, la perte de mémoire et de personnalité, cas rare mais qui se rencontre de temps en temps. La troisième, meurtre avec escamotage plus ou moins heureux du cadavre. Considérez-vous ces trois cas comme impossibles ? — Oui, à peu près impossibles, à mon avis. On peut perdre la mémoire, évidemment, mais il est bien sûr que quelqu’un vous reconnaîtra un jour ou l’autre – surtout s’il s’agit d’un homme aussi connu que Davenheim. Ensuite, les corps, on ne peut pas les volatiliser dans l’air ambiant. Tôt ou tard, ils sortent de leur cachette, de leur sous-bois, de leur malle… Le meurtre est découvert. Avec les moyens de communication modernes on a peu de chances de ne pas être rattrapé. La fuite en pays étranger ? Les ports et les gares sont surveillés… — Mon cher ami, dit <strong>Poirot</strong>, vous faites une légère erreur. Il ne vous vient pas à l’esprit qu’un homme qui a décidé de se débarrasser d’un autre homme – ou de lui-même – puisse être cette chose si rare : un homme méthodique. Il peut avoir apporté à sa tâche toute l’intelligence et tout le talent nécessaires, ainsi que le calcul soigneux du moindre détail ; et dans ce cas je ne vois pas pourquoi il ne réussirait pas à duper la police. — La police, peut-être ; mais pas vous ? dit Japp avec bonne humeur et le regard brillant de malice. On ne trompe pas <strong>Hercule</strong> <strong>Poirot</strong>. Le détective essaya sans beaucoup de succès de paraître modeste. — Mais si, moi aussi. Pourquoi pas ? Il est vrai que j’aborde ce genre de problèmes avec une science exacte, une précision mathématique qui semblent, hélas ! trop rares parmi les détectives de la nouvelle génération. Le sourire de Japp s’élargit. — C’est possible. Mais Miller qui s’occupe de cette affaire est un vieux routier de la profession. Vous pouvez être sûr qu’aucune empreinte, aucune cendre de cigarette, miette de pain, boue sur le paillasson ou poil de chat sur le dessus de lit ne lui échappera. Vous n’allez