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— Mais quoi ?<br />
Charlotte ne répondit pas mais elle frissonna. Une forte averse vint frapper les vitres et<br />
Mrs Dinsmead laissa tomber une cuillère sur le plateau.<br />
— Serais-tu nerveuse ? interrogea son mari. La nuit est mauvaise voilà tout. Ne te<br />
tourmente pas, nous sommes ici en sûreté près de notre feu. Il n’y a pas dehors une âme qui<br />
puisse nous déranger, ce serait un miracle si quelqu’un venait. Or, les miracles ne se<br />
produisent pas. Non, ajouta-t-il avec une satisfaction étrange, il n’y a pas de miracles.<br />
Il achevait sa phrase lorsqu’on frappa soudain à la porte.<br />
Dinsmead parut stupéfait et murmura « Qui est-ce ? »<br />
Mrs Dinsmead poussa un petit gémissement et serra plus fortement son châle autour de<br />
ses épaules. Magdeleine rougit, se pencha en avant et dit :<br />
— Le miracle s’est produit, vous feriez bien d’aller voir qui est là.<br />
Vingt minutes plus tôt, Mortimer Cleveland était debout sous la pluie et regardait son<br />
auto. Il avait vraiment de la malchance : deux pneus crevés en dix minutes et il était là, à<br />
des lieues de toute agglomération, au milieu de ces marais isolés, alors que la nuit venait et<br />
qu’il n’avait aucun espoir de s’abriter. Il avait eu bien tort de prendre un raccourci au lieu de<br />
rester sur la grand-route, car maintenant, il était seul sur un vague chemin de charrette, sans<br />
aucun espoir de faire avancer sa voiture, ne sachant absolument pas s’il y avait un village à<br />
proximité. Il regarda autour de lui avec perplexité et il vit une vague lueur au-dessus de lui,<br />
sur la colline ; puis, le brouillard l’enveloppa de nouveau, mais au bout d’un instant Cleveland<br />
revit la lueur et, après avoir hésité, il abandonna sa voiture et gravit le coteau.<br />
Il fut bientôt sorti du brouillard et constata que la clarté venait d’une fenêtre, percée dans<br />
un petit cottage, où il trouverait au moins un abri. Il accéléra son allure en baissant la tête<br />
pour lutter contre le vent et la pluie qui semblaient vouloir le faire reculer.<br />
Cleveland était assez célèbre, bien que peu de gens connussent son nom et ses travaux.<br />
Pourtant, il faisait autorité en matière de sciences occultes et il était l’auteur des excellents<br />
mémoires qui traitaient du subconscient. Membre de la Société des Recherches Psychiques, il<br />
étudiait l’occultisme. D’une nature particulièrement sensible à l’atmosphère, grâce à un<br />
entraînement constant il avait accru ce don naturel. Quand il atteignit enfin le cottage et<br />
frappa à la porte, il fut pris d’une sensation d’excitation comme si ses facultés s’étaient<br />
brusquement intensifiées.<br />
À l’intérieur, le murmure des voix l’avait frappé et lorsqu’il frappa, un silence tomba, puis<br />
il entendit le bruit d’une chaise qu’on repoussait. La porte fut ouverte brusquement par un<br />
gamin d’une quinzaine d’années. Cleveland regarda par-dessus son épaule et se trouva<br />
devant un intérieur semblable au tableau de quelque peintre hollandais : sur une table ronde<br />
le couvert était mis, une famille assise autour, éclairée par une ou deux bougies et la lueur<br />
du feu. Le père, un gros homme, assis d’un côté et une petite femme, aux cheveux gris et à<br />
l’air apeuré, lui faisait face, une jeune fille, aux yeux effrayés, tenait à la main une tasse<br />
qu’elle portait à ses lèvres.<br />
Cleveland s’aperçut tout de suite qu’elle était fort belle et présentait un type peu<br />
répandu : ses cheveux d’or rouge entouraient son visage et ses yeux fort écartés étaient du<br />
plus beau gris, sa bouche et son menton la faisaient ressembler à une Madone des primitifs<br />
italiens.<br />
Il y eut un instant de complet silence, puis Cleveland entra dans la pièce et exposa sa<br />
situation. Quand il acheva, un silence assez bizarre tomba, puis, comme s’il hésitait, le père