http://www.jeuverbal.fr Spitzer, L'effet de sourdine ... - le jeu verbal
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S'il voulait ... Mais l'ingrat ne veut que m'outrager.<br />
Demeurons toutefois pour troub<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur fortune;<br />
Prenons quelque plaisir à <strong>le</strong>ur être importune;<br />
Ou <strong>le</strong> forçant <strong>de</strong> rompre un noeud si so<strong>le</strong>nnel,<br />
Aux yeux <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s Grecs rendons-<strong>le</strong> criminel.<br />
J'ai déjà sur <strong>le</strong> fils attiré la colère;<br />
Je veux qu'on vienne encor lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la mère.<br />
Rendons-lui <strong>le</strong>s tourments qu'el<strong>le</strong> me fait souf<strong>fr</strong>ir.<br />
<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />
Tantôt <strong>le</strong> Moi se découvre, menaçant et dominateur (je veux qu'...), tantôt il se<br />
retranche <strong>de</strong>rrière un Nous délibératif, tantôt enfin, <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> masque officiel, une<br />
minuscu<strong>le</strong> lucarne grammatica<strong>le</strong> laisse entrevoir furtivement <strong>le</strong> Moi (Prenons quelque<br />
plaisir à <strong>le</strong>ur être importune). De même:<br />
Baj., IV, 4:<br />
Sur tout ce que j'ai vu fermons plutôt <strong>le</strong>s yeux;<br />
Laissons <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur amour la recherche importune:<br />
Poussons à bout l'ingrat, et tentons la fortune :<br />
Voyons si, par mes soins sur <strong>le</strong> trône é<strong>le</strong>vé,<br />
Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé,<br />
Et si, <strong>de</strong> mes bienfaits lâchement libéra<strong>le</strong>,<br />
Sa main en osera couronner ma riva<strong>le</strong>.<br />
Je saurai bien toujours retrouver <strong>le</strong> moment<br />
De punir, s'il <strong>le</strong> faut, la riva<strong>le</strong> et l'amant:<br />
Dans ma juste fureur observant <strong>le</strong> perfi<strong>de</strong>,<br />
Je saurai <strong>le</strong> surprendre avec son Atali<strong>de</strong> ...<br />
Voilà, n'en doutons point, <strong>le</strong> parti qu'il faut prendre.<br />
Je veux tout ignorer.<br />
On remarque que <strong>le</strong> possessif <strong>de</strong> la 1re personne du pluriel est absent : Andr., III,<br />
7 : Non, ne révoquons point l'arrêt <strong>de</strong> mon courroux (alors que <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s latins<br />
montrent <strong>le</strong> mélange inverse : Catul<strong>le</strong> : multa satis lusi : non est <strong>de</strong>a nescia nostri<br />
[Wackernagel, p. 100]) - peut-être un notre aurait-il trop effacé <strong>le</strong> caractère fictif du<br />
pluriel et aurait-il suggéré un véritab<strong>le</strong> pluriel? Brunot (Hist. d. l. l. <strong>fr</strong>., p. 378) montre<br />
que ce pluriel <strong>de</strong> majesté est purement littéraire, qu'il ne repose pas sur l'usage<br />
quotidien et qu'il est loué par <strong>le</strong>s théoriciens (la nuance « délibérative» du pluriel<br />
apparaît nettement lorsque <strong>le</strong> passage du singulier au pluriel est illustré par une phrase<br />
comme Ne délibérons plus, allons droit à la mort ; La tristesse m'appel<strong>le</strong> à ce <strong>de</strong>rnier<br />
effort).<br />
Très souvent, Racine <strong>de</strong>ssine <strong>de</strong>rrière ses rois ou ses grands seigneurs <strong>le</strong> pays<br />
sur <strong>le</strong>quel il règne, mais seu<strong>le</strong>ment en tant que puissance incarnée dans <strong>le</strong> roi; on<br />
pourrait par<strong>le</strong>r d'un pays <strong>de</strong> majesté: <strong>le</strong> pays est à la fois élévation et objectivation <strong>de</strong><br />
la personne, comme <strong>le</strong> pluriel <strong>de</strong> majesté; ce n'est pas pour rien que Mesnard (éd. Gr.<br />
Ecr., III, p. XXXIV) cite Bérénice :<br />
Dans l'Orient désert quel <strong>de</strong>vint mon ennui !<br />
Je <strong>de</strong>meurai longtemps errant dans Césarée,<br />
Lieux charmants où mon coeur vous avait adorée.<br />
« lieux charmants n'est pas un trait moins exquis que l'Orient désert. »<br />
Andr., l, 2 : Pyrrhus achève une tira<strong>de</strong> assez longue par ce vers formant pointe :<br />
L'Épire sauvera ce que Troie a sauvé,<br />
c'est-à-dire « moi, Pyrrhus, je sauverai ce que <strong>le</strong>s Troyens ont sauvé <strong>de</strong> Troie »; <strong>le</strong> roi<br />
s'i<strong>de</strong>ntifie à son pays (cf. chez Shakespeare La France = « Le roi <strong>de</strong> France »).<br />
<strong>Spitzer</strong>, L’effet <strong>de</strong> <strong>sourdine</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> classique : Racine. 13