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http://www.jeuverbal.fr Spitzer, L'effet de sourdine ... - le jeu verbal

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Sur tous mes <strong>fr</strong>ères morts se faisant un passage,<br />

Et <strong>de</strong> sang tout couvert, échauffant <strong>le</strong> carnage;<br />

Songe aux cris <strong>de</strong>s vainqueurs, songe aux cris <strong>de</strong>s mourants,<br />

Dans la flamme étouffés, sous <strong>le</strong> fer expirants;<br />

Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :<br />

Voilà comme Pyrrhus vint s'of<strong>fr</strong>ir à ma vue.<br />

<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

Ce portrait constitue lui aussi un tout, il est encadré (figure-toi - voilà...).<br />

L'histoire nous est présentée sous la forme d'une évocation sinistre (songe, songe -<br />

figure-toi - peins-toi), mais toujours vue par un personnage <strong>de</strong> théâtre, donc d'une<br />

certaine façon humainement contenue. Aucun débor<strong>de</strong>ment, aucun excès <strong>de</strong> spontanéité!<br />

On remarquera <strong>le</strong> mot dépeindre: il s'agit <strong>de</strong> peindre un univers en mouvement, <strong>de</strong> fixer<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>venir; cf. <strong>le</strong> médaillon dans la phrase <strong>de</strong> Phèdre : Presse, p<strong>le</strong>ure, gémis, peins<br />

[variante ultérieure: plains] – lui Phèdre mourante. Et maintenant, <strong>le</strong> personnage se<br />

détachant <strong>de</strong> sa situation, « en relief », mais - c'est significatif - en reliefs doux<br />

(douceurs).<br />

Brit., II, 2 :<br />

Je ne sais si cette négligence,<br />

Les ombres, <strong>le</strong>s flambeaux, <strong>le</strong>s cris et <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce,<br />

Et <strong>le</strong> farouche aspect <strong>de</strong> ses fiers ravisseurs,<br />

Re<strong>le</strong>vaient <strong>de</strong> ses yeux <strong>le</strong>s timi<strong>de</strong>s douceurs.<br />

On note <strong>le</strong> « beau désordre » (la <strong>de</strong>scription repose sur <strong>de</strong>s antithèses: ombres-<br />

flambeaux, cris-si<strong>le</strong>nce, farouche-timi<strong>de</strong>s), mais ces antithèses sont émoussées par la<br />

formulation « en douceur » ; Mesnard déjà l'a bien senti (Gr. Écr., III, p. xxx) : « La<br />

peinture la plus achevée et la plus <strong>fr</strong>appante n'est peut-être pas cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la scène el<strong>le</strong>même<br />

si vivement mise sous nos yeux, c'est plutôt ... cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> Néron. »<br />

Racine fait souvent usage <strong>de</strong> l'aposiopèse, l'interruption du discours sous l'effet<br />

<strong>de</strong> la trop forte émotion. Mais cet artifice <strong>de</strong> rhétorique aussi nous vient <strong>de</strong>s auteurs<br />

antiques (quos ego !...), et là encore, Racine <strong>le</strong> dépouil<strong>le</strong> <strong>de</strong> son caractère âpre, brusque,<br />

ru<strong>de</strong> et vio<strong>le</strong>nt, pour l'intérioriser; au sein même <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> rhétorique, il ramène <strong>le</strong><br />

sentiment naturel à un mo<strong>de</strong> d'expression plus simp<strong>le</strong>, plus direct; il est normal que<br />

Racine, économe <strong>de</strong> ses mots, et discret dans l'épanchement <strong>de</strong> l'âme, stoppe <strong>le</strong> flot <strong>de</strong><br />

paro<strong>le</strong>s pour faire entendre un son venu du cœur :<br />

Andr., II, 5 :<br />

Considère, Phoenix, <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s que j'évite,<br />

Quel<strong>le</strong> fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> maux l'amour traîne à sa suite,<br />

Que d'amis, <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs j'allais sacrifier !<br />

Quels périls ... un regard m'eût tout fait oublier.<br />

Pyrrhus interrompt sa bel<strong>le</strong> énumération <strong>de</strong>s maux que l'amour entraîne, et la<br />

phrase suivant un regard ..., toute simp<strong>le</strong>, tout intérieure, mais qui met aussi à nu son<br />

âme ravagée, reconnaît la puissance <strong>de</strong> l'amour, même au prix <strong>de</strong> ces maux. Parfois<br />

l'aposiopèse épargne à l'auteur une énumération fastidieuse:<br />

Andr., III, 3 :<br />

Sais-tu quel est Pyrrhus? T'es-tu fait raconter<br />

Le nombre <strong>de</strong>s exploits ... mais qui <strong>le</strong>s peut compter!<br />

L’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus proche du quos ego me semb<strong>le</strong> être<br />

Baj., II,1 - Roxane à Bajazet:<br />

Et ta mort suffira pour me justifier,<br />

N'en doute point, j'y cours, et dès ce moment même.<br />

<strong>Spitzer</strong>, L’effet <strong>de</strong> <strong>sourdine</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> classique : Racine. 56

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