http://www.jeuverbal.fr Spitzer, L'effet de sourdine ... - le jeu verbal
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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />
nation <strong>de</strong> jardiniers » comme dit Keyserling (Das Spektrum Europas) : « L'esprit <strong>fr</strong>ançais<br />
a plus rarement que tout autre apporté quelque chose d'essentiel<strong>le</strong>ment neuf. Il est<br />
assurément inventif, mais toujours sur <strong>de</strong>s bases immuab<strong>le</strong>s; son meil<strong>le</strong>ur esprit est un<br />
esprit <strong>de</strong> finishing school. » Mais <strong>le</strong>s <strong>jeu</strong>nes arbres d'un jardin ancien n'en sont pas moins<br />
encore <strong>de</strong>s arbres beaux et vivants! On peut aussi penser aux termes dans <strong>le</strong>squels<br />
Hofmannsthal (« Das Schrifttum als geistiger Raum <strong>de</strong>r Nation », Neue Deutsche<br />
Rundschau, 1927, p. 12 sq.) par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la littérature <strong>fr</strong>ançaise : « Au sein d'un si constant<br />
changement, l'ambition n'est pas <strong>de</strong> ressortir, mais <strong>de</strong> satisfaire aux exigences<br />
traditionnel<strong>le</strong>s. Un grand observateur l'a dit : chez ce peup<strong>le</strong>, la discipline rigoureuse<br />
dans l'expression personnel<strong>le</strong> l'emporte sur l'effet bou<strong>le</strong>versant du trait unique... Dans<br />
cette nation socia<strong>le</strong> par excel<strong>le</strong>nce se développe, au sein <strong>de</strong> la littérature même, cet<br />
élément social, dont <strong>le</strong> fon<strong>de</strong>ment est une rivalité toujours en éveil entre <strong>le</strong>s individus...<br />
C'est précisément cette gran<strong>de</strong> vigilance qui assure <strong>le</strong> triomphe <strong>de</strong> la simplicité dans la<br />
beauté, <strong>le</strong> bonheur d'un trait isolé, l'élégance. L'originalité n'a qu'une va<strong>le</strong>ur<br />
conditionnel<strong>le</strong>… mais une supériorité relative, un léger dépassement <strong>de</strong> la moyenne, sont<br />
hautement appréciés.»<br />
Pour finir, je voudrais encore prendre position sur une phrase <strong>de</strong> Marty- Laveaux<br />
dans <strong>le</strong> Lexique <strong>de</strong> la langue <strong>de</strong> J. Racine, que cite G. Truc (p. 109) : « La règ<strong>le</strong> la plus<br />
ordinaire contre laquel<strong>le</strong> il importe <strong>de</strong> se prémunir d'abord quand on veut étudier la<br />
langue d'un écrivain, c'est <strong>de</strong> croire que tout ce qui dans ses œuvres, s'éloigne <strong>de</strong> l'usage<br />
actuel doit lui être attribué, caractérise sa manière, sa langue à lui, porte la marque <strong>de</strong><br />
son tour d'esprit et <strong>de</strong> son génie. » Marty-Laveaux par<strong>le</strong> ici en historien, replaçant la<br />
langue d'un auteur dans l'époque où il a vécu. Mais cette langue <strong>de</strong> l'auteur et la langue<br />
<strong>de</strong> son époque, qui en est l'enveloppe, produisent sur nous un effet déterminé. Même si<br />
Racine est un enfant <strong>de</strong> son époque, il porte encore <strong>le</strong>s marques <strong>de</strong> sa personnalité en<br />
el<strong>le</strong>-même; aussi <strong>le</strong>s traits particuliers que nous observons chez lui sont-ils éga<strong>le</strong>ment<br />
caractéristiques <strong>de</strong> lui-même (et pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> son temps). C'est ainsi seu<strong>le</strong>ment que<br />
se justifie la tentative qui précè<strong>de</strong> pour analyser directement, en partant <strong>de</strong> notre sens<br />
mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> la langue, et sans <strong>le</strong> détour <strong>de</strong>s témoignages contemporains,<br />
contradictoires et lacunaires, la langue <strong>de</strong> Racine; car Racine n'appartient pas à sa seu<strong>le</strong><br />
époque, il est aussi « nôtre ».<br />
Prenons un exemp<strong>le</strong> dans Marty-Laveaux : ce philologue nous apprend (p. XIII)<br />
que « chatouillaient <strong>de</strong> mon coeur l'orgueil<strong>le</strong>use faib<strong>le</strong>sse, expression heureusement<br />
placée dans Iphigénie (v. 82), et attribuée en général à Racine, n'est pas... <strong>de</strong> son<br />
invention, et remonte au moins jusqu'à Ronsard ». Ce <strong>de</strong>rnier détail a certes un grand<br />
intérêt pour l'histoire du sty<strong>le</strong>, mais il n'apporte rien à la compréhension du plaisir<br />
esthétique que nous procure l'oeuvre <strong>de</strong> Racine en tant que tel<strong>le</strong>; car au moment où<br />
nous goûtons Racine, nous ignorons tout (voulons tout ignorer) <strong>de</strong> Ronsard. Et en tout<br />
cas chatouil<strong>le</strong>r, qu'il. ait été trouvé par Racine ou par Ronsard, ou bien forgé par lui,<br />
entre bien dans la série d'exemp<strong>le</strong>s où une expression primitivement sensuel<strong>le</strong> est<br />
menée à la limite <strong>de</strong> la formu<strong>le</strong> (voir plus haut); en outre, cette phrase est un exemp<strong>le</strong><br />
privilégié, où chatouil<strong>le</strong>r est mêlé à d'autres racinismes (antéposition <strong>de</strong> la détermination<br />
dépendante, oxymoron, remplacement <strong>de</strong> la personne par une qualité), si bien que cet<br />
emprunt - puisque emprunt il y a - apparaît dans une métamorphose absolument<br />
typique. Il est donc, pour l'esprit rigoureux, impossib<strong>le</strong> d'iso<strong>le</strong>r un trait dans la langue<br />
d'un auteur pour <strong>le</strong> comparer à <strong>de</strong>s traits parallè<strong>le</strong>s <strong>de</strong> langue, éga<strong>le</strong>ment isolés <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
contexte, chez d'autres auteurs; <strong>le</strong>s divers traits d'une oeuvre poétique doivent d'abord<br />
être comparés entre eux comme membres, éléments et supports d'un système, d'une<br />
unité cohérente. Iso<strong>le</strong>r un élément <strong>de</strong> l’ensemb<strong>le</strong> et <strong>le</strong> rapporter à <strong>de</strong>s éléments pris dans<br />
d'autres systèmes antérieurs, c'est faire injure à l'auteur; c'est faire passer un créateur<br />
pourun plagiaire.<br />
La <strong>sourdine</strong> que Racine mise* dans son sty<strong>le</strong> lui ferme aussi <strong>le</strong> coeur <strong>de</strong>s Français<br />
d'aujourd'hui. Il me semb<strong>le</strong> permis d'affirmer que <strong>le</strong> Français <strong>de</strong> culture moyenne (mis à<br />
part quelques élites), n'a pas, dans <strong>le</strong>s retranchements <strong>de</strong> son coeur, autant d'autels<br />
fumant pour Racine que voudraient nous <strong>le</strong> faire croire <strong>le</strong>s panégyriques officiels,<br />
perpétués par l'éco<strong>le</strong> et l'opinion. Avec la netteté et la sincérité souhaitab<strong>le</strong>s, un homme<br />
aussi profondément <strong>fr</strong>ançais que Meil<strong>le</strong>t déclare (Bul<strong>le</strong>tin <strong>de</strong> la société <strong>de</strong> linguistique<br />
<strong>Spitzer</strong>, L’effet <strong>de</strong> <strong>sourdine</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> classique : Racine. 74