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http://www.jeuverbal.fr Spitzer, L'effet de sourdine ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

philosophie <strong>de</strong> Racine, qui est effectivement d'un homme ayant perdu la grâce, cette<br />

philosophie qui ne cesse d'observer et d'objectiver l'humain, non seu<strong>le</strong>ment à partir <strong>de</strong><br />

l’homme qui souf<strong>fr</strong>e, mais à partir d’une nature objective rationnel<strong>le</strong>. Iphigénie<br />

exprime, dans <strong>le</strong> passage ci-<strong>de</strong>ssus : 1. sa soumission à la volonté <strong>de</strong> son père, 2. la<br />

révolte <strong>de</strong> l'objectif contre la volonté <strong>de</strong> son père. Sa langue est doub<strong>le</strong> à la <strong>le</strong>ttre : c'est<br />

la langue d'Iphigénie, et cel<strong>le</strong> d'une objectivité rationnel<strong>le</strong> supra-iphigénienne. El<strong>le</strong> donne<br />

effectivement une « réponse terrib<strong>le</strong> à son père, d'une sour<strong>de</strong> cruauté tragique », mais<br />

cela seu<strong>le</strong>ment parce que <strong>le</strong>s doux tons d'Iphigénie se rencontrent avec <strong>le</strong>s durs<br />

reproches <strong>de</strong> la raison objective. La mise <strong>de</strong> l'« adversaire » dans son tort apporte la «<br />

<strong>de</strong>uxième voix » que Péguy, l'ami <strong>de</strong> la mystique et l'ennemi du politique, a<br />

particulièrement bien remarquée, la voix <strong>de</strong> la ratio, qui couvre sans cesse chez Racine<br />

cel<strong>le</strong> du sentiment, qui dispose plus ses arguments contre <strong>le</strong> partenaire et qui apparaît<br />

aussi à l'auditeur comme une dissection « cruel<strong>le</strong> » <strong>de</strong>s sentiments. Tous <strong>le</strong>s mots et<br />

membres <strong>de</strong> phrases soulignés par Péguy constituent une accusation ininterrompue du<br />

père (on pourrait <strong>le</strong>s réduire à un vous l'avez voulu, vous! <strong>de</strong> la révolte), mais ils sont <strong>de</strong><br />

fait moins une plainte d'un Moi que l'accusation d'un Toi : l'accusation doit tenir compte,<br />

comme un procès en bonne et due forme, <strong>de</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'enten<strong>de</strong>ment. Et une Phèdre ne<br />

se distingue d'Iphigénie qu'en un point : el<strong>le</strong> est el<strong>le</strong>-même l'accusée; on a constamment<br />

souligné la lucidité qui se déchire el<strong>le</strong>-même dans cette héroïne racinienne passionnée. Et<br />

<strong>le</strong> « doub<strong>le</strong> éclairage » dont par<strong>le</strong> Voss<strong>le</strong>r à propos d'Athalie, n'est-il pas aussi cette<br />

vision qu'a un personnage <strong>de</strong> ses égarements humains, mais mesurés sur <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong><br />

raison ? Racine ne se laisse pas al<strong>le</strong>r à prendre parti pour ou contre Athalie, il l'observe<br />

impartia<strong>le</strong>ment « avec <strong>de</strong>s yeux <strong>de</strong> gentilhomme ordinaire du roi », dit Mauriac, qui<br />

évoque la mora<strong>le</strong> nietzschéenne <strong>de</strong>s maîtres; et il communique cette impartialité aux<br />

paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> son personnage, qui n'oscil<strong>le</strong> pas seu<strong>le</strong>ment entre Cette paix que je cherche et<br />

qui me fuit toujours et Je jouissais en paix du <strong>fr</strong>uit <strong>de</strong> ma sagesse, mais qui souvent -<br />

selon l'habitu<strong>de</strong> racinienne - unit la quiétu<strong>de</strong> à l'inquiétu<strong>de</strong>, l'enten<strong>de</strong>ment et<br />

l'emportement, la réf<strong>le</strong>xion et <strong>le</strong> lyrisme.<br />

*<br />

Nous savons encore à vrai dire relativement peu <strong>de</strong> choses sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>venir du<br />

langage <strong>de</strong>s formes dans <strong>le</strong>s littératures romanes <strong>de</strong>s Temps Mo<strong>de</strong>rnes. E. Nor<strong>de</strong>n, dans<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième tome <strong>de</strong> son Antike Kunstprosa, a bien montré <strong>le</strong>s influences antiques qui<br />

ont déterminé <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> orné, baroque et précieux, du XVIe et du XVIIe sièc<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>s<br />

pays <strong>de</strong> langue romane. Mais comment ces formes ornées ont été progressivement<br />

atténuées et modérées jusqu'à donner naissance au sty<strong>le</strong> classique, c'est là ce que<br />

personne, à ma connaissance, n'a jamais étudié. Cet artic<strong>le</strong> veut être une première et<br />

mo<strong>de</strong>ste contribution à cette tâche gigantesque : lorsqu'on examine l'origine <strong>de</strong>s divers<br />

procédés <strong>de</strong> sty<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> « en <strong>sourdine</strong> » du classicisme racinien, on est presque<br />

toujours ramené à l'antiquité (tout au plus pourrait-on voir dans <strong>le</strong> symbolisme <strong>de</strong><br />

Phèdre une sorte <strong>de</strong> dualisme chrétien, ou même <strong>de</strong> manichéisme polaire à la manière <strong>de</strong><br />

Victor Hugo). Ce fait est assez remarquab<strong>le</strong>, étant donné qu'on aime présenter Racine<br />

comme un auteur chrétien et janséniste. Or pour <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> (même dans <strong>le</strong>s pièces<br />

bibliques, mis à part <strong>le</strong> contenu <strong>de</strong>s parabo<strong>le</strong>s), il est entièrement dans la lignée <strong>de</strong><br />

l'antiquité (métamorphosée par <strong>le</strong> pétrarquisme). Il atténue <strong>le</strong> baroque excessif et<br />

hypertrophié <strong>de</strong>s imitateurs <strong>de</strong>s anciens, il donne une vie nouvel<strong>le</strong> aux formu<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

l'antiquité, mais ses formes et ses formu<strong>le</strong>s sont et restent antiques. Donc, j'affirmerais,<br />

contrairement à Voss<strong>le</strong>r (p. ex. p. 167), <strong>le</strong> « caractère érudit et humaniste »<strong>de</strong> l'oeuvre<br />

racinienne. D'ail<strong>le</strong>urs Voss<strong>le</strong>r lui-même reconnaît (p. 152) : « Pour la seu<strong>le</strong> mise en<br />

forme, et non pour la matière, on peut voir en Racine un humaniste. » Mais comment la<br />

mise en forme et la matière pourraient-el<strong>le</strong>s être en discordance? L'« élégance <strong>de</strong><br />

l'expression » que Racine, dans la préface <strong>de</strong> Bérénice, déclare rechercher, il l'a apprise<br />

chez <strong>le</strong>s Anciens. Ses audaces <strong>de</strong> langue sont plutôt <strong>de</strong>s assouplissements délicats,<br />

élégants, dans <strong>le</strong> mo<strong>de</strong>lé classique, <strong>de</strong>s nuances apportées aux formes antiques, qu'une<br />

<strong>de</strong>scente hardie aux sources éternel<strong>le</strong>ment bouillonnantes <strong>de</strong> la création linguistique. On<br />

aboutit ainsi à l'image hélas rebattue du parc <strong>de</strong> Versail<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> la nation <strong>fr</strong>ançaise, «<br />

<strong>Spitzer</strong>, L’effet <strong>de</strong> <strong>sourdine</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> classique : Racine. 73

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