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http://www.jeuverbal.fr Spitzer, L'effet de sourdine ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

l'interval<strong>le</strong> qui sépare ces <strong>de</strong>ux sens. Dans <strong>le</strong> cas que voici, l'al<strong>le</strong>r phraséologique<br />

re<strong>de</strong>vient un mouvement concret du corps - dans l'égarement <strong>de</strong> la passion :<br />

Andr., IV, 5 :<br />

Je ne te retiens plus, sauve-toi <strong>de</strong> ces lieux;<br />

Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée;<br />

Va profaner <strong>de</strong>s dieux la majesté sacrée ...<br />

Porte au pied <strong>de</strong>s autels ce coeur qui m'abandonne,<br />

Va, cours; mais crains encor d'y trouver Hermione.<br />

Va jurer, va profaner sont <strong>de</strong>s encouragements ironiques à jurer et profaner, mais ici va,<br />

amplifié en cours, gar<strong>de</strong> <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> « va-t'en », « ôte-toi <strong>de</strong> ma vue» (esquissé déjà, sur<br />

un ton seu<strong>le</strong>ment plus aristocratique, par « sauve-toi <strong>de</strong> ces lieux »); l'héroine exige ici<br />

une action immédiate, voulue par <strong>le</strong> paroxysme <strong>de</strong> la passion. Cf. la transposition<br />

inverse, du verbe <strong>de</strong> mouvement au plan <strong>de</strong> l'audace spirituel<strong>le</strong> (Andr., II, 5) :<br />

Pyrrhus:<br />

Retournons-y. Je veux la braver à sa vue ...<br />

Allons.<br />

Phoenix:<br />

Al<strong>le</strong>z, seigneur, vous jeter à ses pieds:<br />

Al<strong>le</strong>z, en lui jurant que votre âme l'adore,<br />

À <strong>de</strong> nouveaux mépris l'encourager encore.<br />

Le allons sans arrière-pensée du personnage est attrapé au bond par <strong>le</strong> confi<strong>de</strong>nt<br />

ironique, qui y met un persiflage sarcastique. En rétablissant ainsi à l'occasion, dans <strong>le</strong><br />

flot <strong>de</strong> la passion, <strong>le</strong> sens original d'un mot, Racine a empêché la formu<strong>le</strong> <strong>de</strong> se figer en<br />

clause <strong>de</strong> sty<strong>le</strong>.<br />

On rattachera à ce qui précè<strong>de</strong> la périphrase avec voir : au lieu <strong>de</strong> j'ai (il a) fait,<br />

Racine dit souvent tu m'as (il m'a) vu faire; <strong>le</strong> locuteur ne donne pas l'événement ou<br />

l'action (<strong>de</strong> lui où d'un autre) comme quelque chose <strong>de</strong> personnel, mais vu ou reflété par<br />

un Toi; expression intégrant certes <strong>le</strong> partenaire dans <strong>le</strong> discours, et donc très appropriée<br />

au dialogue, expression socia<strong>le</strong> et, à l'occasion (par <strong>le</strong> recours au témoignage du<br />

partenaire) rhétorique, sentant <strong>le</strong> prétoire; mais aussi; expression <strong>de</strong>stinée à re<strong>fr</strong>éner <strong>le</strong><br />

personnel, la cha<strong>le</strong>ur inhérente au vécu.<br />

Andr., I, 1 - Oreste à Pyla<strong>de</strong>:<br />

Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs ...<br />

Tu vis mon désespoir, et tu m'as vu <strong>de</strong>puis<br />

Traîner <strong>de</strong> mers en mers ma chaîne et mes ennuis.<br />

La répétition <strong>de</strong> voir à el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> révè<strong>le</strong> l'importance que <strong>le</strong> personnage donne à<br />

cette « citation <strong>de</strong> témoin ». Ce voir n'est pas entièrement une vue sensoriel<strong>le</strong>, mais un «<br />

vécu », ou mieux, à mi-chemin entre « voir » et « vivre » ; cf. par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s récits à la<br />

forme personnel<strong>le</strong> :<br />

III, 6 :<br />

J'ai vu mon père mort, et nos murs embrasés;<br />

J'ai vu trancher <strong>le</strong>s jours <strong>de</strong> ma famil<strong>le</strong> entière,<br />

Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,<br />

Son fils seul avec moi, réservé pour <strong>le</strong>s fers.<br />

Phèdre, V, 6 :<br />

J'ai vu, seigneur, j’ai vu votre malheureux fils<br />

Traîné par <strong>le</strong>s chevaux que sa main a nourris.<br />

<strong>Spitzer</strong>, L’effet <strong>de</strong> <strong>sourdine</strong> dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> classique : Racine. 24

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