Journal asmac No 2 - avril 2024

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Point de mire: Système Photo 1: Les scientifiques ont enregistré les comportements individuels de près de 500 fourmis en identifiant les ouvrières avec des codes-barres. Afin de connaître leur âge, ils ont peint leur dos de couleurs différentes en fonction de leur date de naissance. Le système social très élaboré des fourmis Grâce à leur organisation sociale très sophistiquée, les fourmis n’ont cessé d’étendre leur emprise sur la planète. Se répartissant les tâches, les ouvrières veillent au bien-être et au développement des colonies. Non seulement elles défendent les fourmilières et nourrissent ses membres, mais elles les protègent aussi contre la propagation des maladies. Elles se font même soignantes pour traiter les guerrières blessées. Laurent Keller, ex-professeur du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne, et Elisabeth Gordon, journaliste scientifique et médicale Photo: Current Biology 28 2/24 vsao /asmac Journal
Point de mire: Système Selon le Larousse, un système est «un ensemble de procédés, de pratiques organisées, destinées à assurer une fonction définie». Ou encore «une société considérée comme un ensemble structuré et rigide». Ces deux définitions s’appliquent à merveille au monde des fourmis – si l’on excepte le côté rigide qui ne le caractérise pas. Ces insectes vivent en effet dans des sociétés très organisées, sans être pour autant centralisées. Leurs colonies ne comptent en effet ni maître – les mâles ne survivent pas au ballet nuptial – ni maîtresse. La reine ne règne pas. Elle ne donne aucun ordre et n’a aucun pouvoir. Sa seule fonction est de se reproduire et d’assurer ainsi la croissance de la colonie. Quant à ses filles, les ouvrières pour la plupart stériles, elles assurent les tâches quotidiennes en se répartissant le travail. Les nourrices s’occupent du couvain (œufs, larves et nymphes), les fourragères se chargent de la quête de nourriture, les bâtisseuses construisent la fourmilière et les guerrières défendent la colonie. Photo: Erik T. Frank Changement de fonction On a longtemps pensé que cette division du travail était uniquement fondée sur l’âge. Il était en effet admis que les ouvrières les plus jeunes prenaient soin du couvain, puis de l’entretien du nid et que seules les plus âgées se risquaient à l’extérieur pour accomplir des tâches plus périlleuses. La réalité est différente, comme le montre une étude que nous avons menée au Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne [1]. Nous avons utilisé un système de marquage avec des codes-barres, afin de suivre pendant cinq mois le comportement et les interactions sociales de plus de 500 individus (voir photo 1). Cela nous a permis de constater que toutes les ouvrières sont d’abord des nourrices avant de devenir des fourragères, la transition se faisant rapidement, c’est-àdire en une ou deux semaines. En revanche, ce n’est pas à un âge prédéterminé qu’une ouvrière passe d’une fonction à l’autre. Cette transition se fait de manière stochastique, indépendamment de l’âge des individus, ce qui permet à la colonie de ne pas être dépendante de la pyramide des âges et ainsi de disposer en permanence du nombre de nourrices et de fourragères nécessaires à ses besoins. Eviter la propagation des maladies Les ouvrières appartenant à ces différents groupes de travail ont relativement peu de Photo 2: Ouvrière Matabele nettoyant la plaie d’une consœur (marquée en vert) qui a eu une patte coupée. contacts les unes avec les autres. Elles occupent en effet des zones différentes du nid, ce qui diminue la probabilité de transfert des pathogènes. Nous nous sommes demandé si elles étaient capables de modifier de manière adaptative leur réseau social lorsqu’elles sont confrontées à des maladies. Pour répondre à cette question, nous avons exposé des fourragères aux spores d’un champignon pathogène transmissible par simple contact, puis nous les avons suivies à l’aide de la technique mentionnée précédemment [2]. En comparant l’organisation de la fourmilière avant et après l’introduction de l’agent infectieux, nous avons constaté que les fourmis sont capables de détecter, sur leur organisme, la présence des spores dont elles s’efforcent de se débarrasser. En outre, elles ajustent rapidement leur comportement pour limiter l’extension de l’infection. Les fourragères qui ont été exposées aux spores s’isolent et passent plus de temps hors de la fourmilière et, quand elles sont dans le nid, elles limitent leurs interactions avec les ouvrières s’occupant d’autres tâches. Les nourrices contribuent, elles aussi, à limiter la propagation du pathogène en s’empressant de déplacer la reine et le couvain au plus profond du nid pour les mettre à l’abri. Preuve que, depuis des millions d’années, les fourmis ont adopté ces «gestes barrières» que nous n’avons découverts que très récemment, pendant l’explosion de la pandémie du COVID-19. Soigner les blessées Les fourmis ne sont pas seulement capables de prendre des mesures prophylactiques, elles peuvent aussi prendre en charge leurs congénères blessées. Nous avons mis en évidence leurs talents de soignantes en observant des fourmis Matabele qui ont coutume d’attaquer des termites pour s’en nourrir. Leurs raids sont violents et souvent, plus d’une attaquante sur quatre se retrouve avec une ou vsao /asmac Journal 2/24 29
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