Journal asmac No 2 - avril 2024

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Point de mire: Système Les maladies autoimmunes sont-elles des troubles somatoformes? L’étude empirique de la théorie des systèmes complexes, de la biosémiotique, de la psychologie profonde ainsi que de la psychanalyse pourrait être un moyen efficace de réaliser à l’avenir de réels progrès dans la recherche médicale et la thérapie, en particulier pour les maladies chroniques. C’est ce que suggèrent des études de cas intégratives. Christian Schubert, psychoneuroimmunologue et professeur à la clinique de psychiatrie, psychothérapie, psychosomatique et psychologie médicale de l’Université de médecine d’Innsbruck Le départ de son fils dans un contexte conflictuel a déclenché une légère poussée chez une femme de 40 ans atteinte de lupus érythémateux systémique. L’Université de médecine d’Innsbruck étudie cette interaction entre le psychisme et le corps au moyen d’études de cas intégratives. Actuellement, l’idée systémique d’une vision médicale élargie de l’être humain se lit le plus clairement dans la conception biopsychosociale de la médecine de George Engel [1]. Le modèle biopsychosocial repose sur l’hypothèse d’un agencement hiérarchique en couches des différentes entités de vie (notamment biologiques, psychologiques, sociales) qui, selon la théorie des systèmes complexes, se différencient par des formations d’émergence et sont interconnectées dans des causalités circulaires top-down-bottom-up. Les maladies physiques et les modifications biochi miques qui y sont liées sont donc le résultat de troubles de l’adaptation à des stimuli environnementaux complexes et excessifs. Analyse empirique par des études de cas intégratives Afin d’étudier empiriquement ces relations complexes dans des conditions vécues au quotidien («life as it is lived») et en tenant compte des hypothèses biosémiotiques et psychodynamiques, l’Université de médecine d’Innsbruck a développé le design de l’étude de cas intégrative [2, 3]. Il s’appuie sur la collecte de données de séries temporelles biochimiques, psychologiques et sociales et sur leur évaluation intégrative au moyen de méthodes quantitatives (analyse de séries temporelles) et qualitatives (analyses d’entretiens). Ce modèle a permis d’étudier de manière répétée des sujets sains [3] et des patients atteints de lupus érythémateux systémique (LES) [4] et de maladies tumorales (p. ex. cancer du sein) [5]. Il a été démontré Photo: Adobe Stock 42 2/24 vsao /asmac Journal
Point de mire: Système que le système de stress réagit de manière cyclique et avec retard à des événements quotidiens importants sur le plan émotionnel. Sur le plan fonctionnel, ces réactions longues et cycliques du système de stress sont probablement des phénomènes de régulation (feed-back, feedforward) qui se produisent dans le cadre d’attributions de sens conscientes et inconscientes. Un cas avec LES: le stress psychique a déclenché une poussée Compte tenu de la théorie des systèmes complexes [6], on suppose que les réactions cycliques du système de stress renvoient à des phénomènes de régulation et que, dans les situations où les conditions environnementales et les troubles associés sont exigeants sur le plan émotionnel, l’être humain tend à passer de l’état sain à l’état malade ou, dans le cas de maladies chroniques comme le LES, de l’état de rémission à l’état de poussée. Cela peut également être étudié empiriquement avec le design intégratif portant sur un cas, comme le montre de manière exemplaire le cas d’une patiente de 40 ans atteinte de LES. Cette patiente a recueilli toutes ses urines pendant 63 jours (de 20h à 8h), a rempli chaque soir à 20h un questionnaire sur les 24 heures précédentes et a été interviewée une fois par semaine sur les contraintes ressenties au quotidien durant la semaine précédente [2]. Au moyen de la complexité dynamique (une mesure pour déterminer la complexité dans une série de données [7]) et des interviews, nous avons pu identifier une telle transition de phase sous la forme d’une poussée de la maladie [8] dans les séries temporelles psychoneuroimmunologiques de la patiente. Sa légère poussée de LES (douleurs lombaires avec engourdissement des pieds, gonflement des petites articulations des doigts, fièvre, frissons, baisse des performances, fatigue) a été déclenchée par un événement de la vie quotidienne que la patiente a ressenti comme une contrainte émotionnelle considérable: le départ de son fils le 25e jour de l’étude. Avec l’apparition du facteur de stress, on a observé des augmentations critiques de la complexité dans les valeurs inflammatoires (néoptérine dans l’urine) et dans l’humeur de la patiente. Parallèlement, on a observé des diminutions critiques de la complexité dans l’irritabilité ressentie par la patiente et dans l’intensité de l’activité de la maladie auto-immune évaluée de façon subjective (figure 1). Ces augmentations et diminutions synchronisées et critiques de la complexité des variables psychoneuroimmunologiques associées à la maladie chez cette patiente nous ont permis de formuler d’autres pistes de réflexion pertinentes concernant la pathogenèse du LES. Ce faisant, nous avons associé, comme nous le verrons plus loin, la théorie des systèmes complexes aux réflexions psychanalytiques de C. G. Jung, qui avait déclaré: «Les phénomènes de synchronicité vont, me semble-t-il, dans cette direction, en ce sens que, sans lien causal, le non-psychique peut se comporter comme le psychique et vice versa.» [9] Pendant l’intervalle de l’étude de deux mois, la patiente a identifié avec l’intervieweuse, à un rythme hebdomadaire, des aspects de sa vie quotidienne significatifs sur le plan émotionnel. Notamment lors de l’événement du départ de son fils, l’intervieweuse a régulièrement ressenti une colère dans le contre-transfert, accompagnée d’une agitation visible de la patiente. Comme la psychanalyse moderne considère que les sentiments du thérapeute à l’égard du patient sont une «caisse de résonance» à travers laquelle le thérapeute obtient des informations sur le patient, cette colère peut être considérée, en plus des anomalies dans les processus de complexité psychoneuroimmunologique, comme un autre élément de diagnostic qui a contribué à la compréhension de la maladie de la patiente. Les réactions auto-immunes sont-elles la conséquence d’une colère refoulée? Nous interprétons nos résultats de la manière suivante: dans le contexte du départ de son fils, qui est pertinent du point de vue de la dynamique conflictuelle (conflit relationnel central selon le Diagnostic Psychodynamique Opérationnalisé [DPO] [10]: œdipe-sexuel, mode passif), la patiente atteinte de LES ne pouvait plus percevoir sa colère et sa rage de manière flexible (baisse de la complexité de l’irritabilité et de l’activité de la maladie perçue subjectivement) et devait les exclure de sa conscience dans le sens d’un isolement des affects. En outre, nous supposons que la patiente a déplacé ses problèmes psychiques sur le corps (somatisation) ou, plus précisément, qu’elle a retourné sa colère refoulée contre elle-même (retournement contre soi) dans une réaction auto-immune (augmentation de la complexité de l’humeur et de la néoptérine). Complexité de la concentration de néoptérine dans l’urine Complexité de l’humeur Complexité de l’irritabilité Complexité de l’activité subjective du LES Complexité de l’activité mentale ,3 ,25 ,2 ,15 ,1 ,05 0 1 5 9 13 17 21 25 29 33 37 41 45 49 53 57 61 ,3 ,25 ,2 ,15 ,1 ,05 ,3 ,25 ,2 ,15 ,1 ,05 Unités de 7 jours 0 1 5 9 13 17 21 25 29 33 37 41 45 49 53 57 61 Unités de 7 jours ,3 ,25 ,2 ,15 ,1 ,05 Unités de 7 jours 0 1 5 9 13 17 21 25 29 33 37 41 45 49 53 57 61 ,3 ,25 ,2 ,15 ,1 ,05 Départ du fils Unités de 7 jours 0 1 5 9 13 17 21 25 29 33 37 41 45 49 53 57 61 0 1 5 9 13 17 21 25 29 33 37 41 45 49 53 57 61 Unités de 7 jours Figure 1: Séries temporelles de la complexité dynamique de la concentration de néoptérine dans l’urine et des états émotionnels que sont l’humeur, l’irritabilité et l’activité mentale ainsi que de l’activité subjective de la maladie du cas 1 atteint de LES au cours de la période d’étude de 63 jours. vsao /asmac Journal 2/24 43
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