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question, d’aucun « contact » <strong>de</strong> l’homme avec une civilisation<br />
extra-humaine. Dans ce pamphlet contre l’humanité, il n’était<br />
pas fait mention <strong>de</strong> l’océan vivant ; cependant, entre les lignes,<br />
on sentait sa présence constante, son silence méprisant et<br />
triomphant. Telle, du moins, avait été mon impression en<br />
étudiant cette brochure, que Gibarian m’avait signalée, et que<br />
certainement il avait ajoutée <strong>de</strong> sa propre autorité à la collection<br />
d’ouvrages classiques <strong>de</strong> la Station – le pamphlet <strong>de</strong><br />
Grattenstrom étant considéré comme une curiosité, mais pas<br />
comme un véritable solarianum.<br />
Avec un sentiment étrange, semblable à du respect, je glissai<br />
soigneusement la mince brochure entre les livres serrés sur le<br />
rayon. Du bout <strong>de</strong>s doigts, je caressai la reliure vert bronze <strong>de</strong><br />
l’Annuaire <strong>de</strong> Solaris. En peu <strong>de</strong> jours, incontestablement, nous<br />
avions acquis <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s concernant quelques questions<br />
fondamentales, qui avaient fait couler <strong>de</strong>s flots d’encre et<br />
alimenté tant <strong>de</strong> disputes <strong>de</strong>meurées stériles faute d’arguments.<br />
Aujourd’hui, quand même le mystère nous cernait <strong>de</strong> toutes<br />
parts, nous avions <strong>de</strong>s arguments <strong>de</strong> poids.<br />
L’océan était-il une créature vivante ? On ne pouvait<br />
continuer d’en douter, à moins <strong>de</strong> se complaire dans les<br />
paradoxes ou l’entêtement. Il <strong>de</strong>venait impossible <strong>de</strong> nier les<br />
« fonctions psychiques » <strong>de</strong> l’océan – peu importait ce que le<br />
terme recouvrait exactement. Il était évi<strong>de</strong>nt, en tout cas, que<br />
l’océan ne nous avait que trop bien « vus »… Cette seule<br />
constatation infirmait les théories solaristes proclamant que<br />
l’océan était un « mon<strong>de</strong> intérieur » – une « vie recluse » –<br />
privé par processus involutif d’organes <strong>de</strong> pensée ayant jadis<br />
existé, ignorant l’existence <strong>de</strong>s objets et <strong>de</strong>s phénomènes<br />
extérieurs, prisonnier d’un tourbillon gigantesque <strong>de</strong> courants<br />
mentaux créés et confinés dans les abîmes <strong>de</strong> ce monstre<br />
tournant entre <strong>de</strong>ux soleils.<br />
Mieux encore, nous avions découvert que l’océan savait<br />
reproduire ce que nous-mêmes n’avions jamais réussi à créer<br />
par synthèse artificielle – le corps humain, un corps humain<br />
perfectionné, modifié dans sa structure infra-atomique, afin <strong>de</strong><br />
servir <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseins inconcevables.<br />
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