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Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

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(sinon plus) sur les personnes qui les tiennent que sur les pratiques effectives. Les réponses<br />

obtenues avaient <strong>de</strong>ux orientations : le sensationnel et le déni <strong>de</strong> présence.<br />

On peut y lire les effets <strong>de</strong> ce que Patrick Bruneteaux et Corinne Lanzarini<br />

nomment "l’onirisme social", qui pousse les personnes en situation d’extrême pauvreté à<br />

enjoliver les situations dans lesquelles elles sont impliquées pour en tirer avantage, dans<br />

une présentation valorisée <strong>de</strong> leur biographie. « L’onirisme social est ainsi à la fois une<br />

donnée du milieu que l’on a pu observer en situation naturelle, et un effet <strong>de</strong> l’entretien<br />

face à un agent du mon<strong>de</strong> ordinaire par rapport auquel il faut dissimuler les déchéances, les<br />

illégalismes, les hontes, ou, inversement, en profiter pour "se faire mousser" ou "se la<br />

jouer". » 2<br />

Si l'on débor<strong>de</strong> ici du cadre dans lequel C. Lanzarini a forgé ce concept, la<br />

dynamique, pourtant, est i<strong>de</strong>ntique, et l'on peut en souligner <strong>de</strong>ux aspects ; il convient<br />

auparavant <strong>de</strong> préciser les conditions <strong>de</strong> ces conversations. La plupart du temps, mes<br />

interlocuteurs savaient à qui ils s’adressaient (non seulement mon i<strong>de</strong>ntité sociale n’était<br />

pas absolument opaque mais encore je me présentais assez vite, usant d’une formule qui<br />

s’est stabilisée à l’usage sans que j’aie au préalable pris la peine <strong>de</strong> la fon<strong>de</strong>r tactiquement,<br />

<strong>de</strong> la justifier stratégiquement). Je m’annonçais étudiante, « m’intéressant à ce qui se<br />

passe » à la gare et dans les alentours (c’était la formule <strong>de</strong> base, adaptée et explicitée en<br />

fonction <strong>de</strong>s partenaires <strong>de</strong> conversation). Cette présentation, assez vague parce qu’elle se<br />

voulait ouverte, associée à la compréhension malaisée <strong>de</strong> mon statut d’enquêtrice, induisait<br />

peut-être <strong>de</strong>s réponses versées dans le sensationnel. Je m’annonçais étudiante, on me<br />

prenait régulièrement pour « une flic », une travailleuse sociale ou une journaliste ; trois<br />

confusions qui n’ont rien d’original, trois professions auxquelles on réserve un type <strong>de</strong><br />

discours, un type <strong>de</strong> réalité. Les discours recueillis étaient, au moins dans le premier temps,<br />

servis à une observatrice saisie comme « agent du mon<strong>de</strong> ordinaire » : on me proposait<br />

donc dans une version dramatisée un discours social dominant associant gare à<br />

dangerosité.<br />

On peut enfin parler d’"onirisme social" en remarquant que ce versant négatif (la<br />

gare est le siège <strong>de</strong> pratiques peu recommandables -il s’agit effectivement <strong>de</strong><br />

classifications morales) est d’autant plus sombre qu’il est couplé au versant ensoleillé,<br />

celui <strong>de</strong>s jours heureux et <strong>de</strong>s projets d’avenir, fussent-ils teintés d’irréalisme. Si "la zone"<br />

elle-même reprend à son propre compte l’opprobre généralisé jeté sur la gare et ses<br />

pratiques, ce n’est pas n’importe quelle fraction <strong>de</strong> cette zone, ou pour le dire autrement, au<br />

sein <strong>de</strong>s usagers et usagères du lieu c’est par ceux ou celles qui cherchent à s’en démarquer<br />

que le lieu est le plus ar<strong>de</strong>mment décrié.<br />

Se faire mousser. S’introduire en connaisseur <strong>de</strong> lieux auxquels on prête une<br />

activité délinquante peut être un moyen <strong>de</strong> valorisation <strong>de</strong> soi (retournement /<br />

détournement plutôt <strong>de</strong> stigmate, utilisation à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> promotion personnelle <strong>de</strong> l’image<br />

négative associée à un ensemble <strong>de</strong> pratiques). Cette présentation <strong>de</strong> soi est au moins<br />

partiellement dirigée vers l’observatrice ; ce peut être un moyen <strong>de</strong> se rendre intéressant,<br />

<strong>de</strong> conquérir sa place pourrait-on dire en forçant le trait, auprès <strong>de</strong> l’observatrice qui fait<br />

figure <strong>de</strong> ressource rare (jeune fille <strong>de</strong> classe plus aisée, souvent seule, disponible, à<br />

l’écoute). En dévoilant <strong>de</strong>s pratiques restées dans l’ombre (à l’ombre <strong>de</strong> la moralité<br />

publique) à une apprentie-sociologue, l’informateur se fait gui<strong>de</strong>, l’informatrice initiatrice ;<br />

posture tout à fait légitime au <strong>de</strong>meurant (répondre aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d’informations <strong>de</strong><br />

2 P. Bruneteaux, C. Lanzarini, "Les entretiens informels", Sociétés Contemporaines n°30, 1999, p160-161<br />

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