Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet
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activité. Cette jeune fille, alors âgée <strong>de</strong> 17 ans, ne sait plus à force <strong>de</strong> calculs quelle<br />
orientation scolaire choisir, ses goûts l'inclinant à une voie longue qui accentuerait encore<br />
son "retard", tandis que les orientations professionnalisées que l'institution scolaire lui<br />
propose ne l'intéressent pas. Ven<strong>de</strong>use <strong>de</strong> shmeuh, elle fournit avant tout les amis du lycée,<br />
mais pratique aussi la revente dans <strong>de</strong>s lieux publics : <strong>de</strong>vant telle université, plus rarement<br />
dans certaines rues du centre-ville, entre Vieux-Lille et rues piétonnes ; la gare,<br />
systématiquement, est évitée. La parcours <strong>de</strong> ce jeune garçon diffère légèrement : âgé <strong>de</strong><br />
moins <strong>de</strong> 25 ans, diplômé <strong>d'un</strong> BTS en informatique, il ne trouve pas <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong>meure<br />
sans ressources, hébergé par ses parents à Lille-Sud. Avant <strong>de</strong> « partir en Amérique », ce<br />
qui le fait sourire mais <strong>de</strong>meure illusoire, la vente <strong>de</strong> résine <strong>de</strong> cannabis se révèle sa seule<br />
source <strong>de</strong> revenus. Encore est-elle mo<strong>de</strong>ste.<br />
Ce dimanche-là, il regar<strong>de</strong> ses copains du <strong>quartier</strong> jouer au foot sur la pelouse du Parc Matisse ;<br />
autour <strong>de</strong> ce spectacle commun, on échange quelques mots, et dans une inci<strong>de</strong>nte, il me<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> si je cherche du shit. Il m'explique venir <strong>de</strong> temps en temps le dimanche après-midi, il<br />
accompagne ses potes et, lui-même n'étant pas joueur, essaie d'en profiter pour vendre un peu.<br />
Je comprends que la vente n'est pas si fréquente, le Parc étant plutôt désert sauf les joueurs<br />
amateurs. A part ça, c'est surtout dans le réseau d'amis ou d'amis d'amis que les ventes se font ;<br />
mais c'est un petit ven<strong>de</strong>ur, et la concurrence est ru<strong>de</strong>, tissée qu'elle est dans les liens amicaux<br />
ou <strong>de</strong> proximité. Dans son récit, l'activité est présentée comme une chose relativement banale,<br />
peu stable, et comme un complément <strong>de</strong> revenus au petit bonheur la chance, auquel il se résout<br />
par réalisme conjoncturel plus que par fatalisme. Du foot ou <strong>de</strong> la vente, difficile <strong>de</strong> savoir quel<br />
est le motif le plus important du déplacement dominical. (Parc Matisse, dimanche après-midi,<br />
novembre 2000)<br />
On mesure ainsi combien la gare, loin d’être un point central du trafic <strong>de</strong> drogues<br />
diverses à l’échelle <strong>de</strong> la métropole, n’accueille que les franges les plus vulnérables <strong>de</strong> ce<br />
marché. On vendrait à la gare faute <strong>de</strong> ne pouvoir vendre ailleurs, « dans les <strong>quartier</strong>s »<br />
comme disait Gérald, où sans doute la concurrence est plus ru<strong>de</strong>, les "parts <strong>de</strong> marché" plus<br />
ar<strong>de</strong>mment défendues.<br />
La gare est une zone <strong>de</strong> vulnérabilité pour les reven<strong>de</strong>urs éventuels, soumise qu’elle<br />
est à la surveillance policière : les ron<strong>de</strong>s <strong>de</strong> police sont fréquentes bien qu’irrégulières,<br />
plusieurs corps <strong>de</strong> vigilance sont rassemblés sur le site (vastes locaux <strong>de</strong> la Police<br />
Nationale en sous-sol, bureau <strong>de</strong> la Police <strong>de</strong> l’Air et <strong>de</strong>s Frontières dans le bâtimentvoyageurs,<br />
ilôtiers, présence quasi-continue <strong>de</strong> militaires légitimée par le Plan Vigipirate,<br />
stationnement régulier <strong>de</strong> cars <strong>de</strong> CRS, auxquels s’ajoutent <strong>de</strong>s employés non-assermentés<br />
<strong>de</strong> sociétés privées). A cette surveillance à découvert s’ajoute la menace d’être surpris par<br />
<strong>de</strong>s mouchards invisibles : les caméras. André, vigile, en recense trois à l’intérieur <strong>de</strong> la<br />
gare, contrôlant le hall, la plateforme d’accès aux trains, et la salle d’attente. Il n’imagine<br />
pas un dispositif <strong>de</strong> ce type au-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la gare, cela lui semble impossible ; or loin <strong>de</strong><br />
renseigner sur la présence ou non <strong>de</strong> caméras policières braquées sur ce lieu public, cet<br />
aveu rappelle que son territoire professionnel s’arrête aux portes du bâtiment-voyageurs.<br />
Pour Ka<strong>de</strong>r, usager du lieu, la présence <strong>de</strong> caméras surplombant la Place <strong>de</strong> la gare ne fait<br />
aucun doute. Ce qui explique peut-être pourquoi la gare et ses abords immédiats servent<br />
plus volontiers <strong>de</strong> lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous pour <strong>de</strong>s transactions qui s’opèrent ailleurs, à l’écart<br />
si ce n’est à l’abri.<br />
7.2.2 Prostitution<br />
La zone proche <strong>de</strong> la gare est connue à l’échelle <strong>de</strong> la métropole lilloise, et même<br />
<strong>de</strong> la région Nord-Picardie, pour avoir presque l’exclusive <strong>de</strong> la prostitution féminine <strong>de</strong><br />
rue. La concentration est manifeste : « …la prostitution <strong>de</strong> rue lilloise est particulièrement<br />
circonscrite à <strong>de</strong>s territoires très spécifiques. La boucle qui parcourt l’essentiel <strong>de</strong>s trottoirs<br />
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