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Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

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Mais chez les jeunes rencontrés cette place semble "déconnectée" <strong>de</strong> la gare, ne<br />

relevant pas du même territoire (entendu comme région <strong>de</strong> significations). Au cours <strong>de</strong>s<br />

entretiens informels, le thème fut introduit dans un premier temps en liaison avec la<br />

question <strong>de</strong> l'approvisionnement en "cachets" ou autres psychotropes ; au fil du temps le<br />

lien entre ces <strong>de</strong>ux thèmes s'est distendu, jusqu'à se dissiper. Qu'ils soient ou non usagers<br />

<strong>de</strong> drogues, qu'ils aient ou non "touché à la came", les jeunes sans domicile qui fréquentent<br />

la gare sont unanimes : Place <strong>de</strong>s Buisses, « il ne se passe rien ». Cette disjonction débor<strong>de</strong><br />

la seule question <strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> psychotropes ou <strong>de</strong>s rencontres qui y sont liées : les<br />

jeunes rencontrés n'y sont pas, loin <strong>de</strong> là, tous intéressés. De fait la présence <strong>de</strong> populations<br />

jeunes liées à la gare n'a jamais été recensée sur la Place <strong>de</strong>s Buisses. A tel point que<br />

l'endroit peut être choisi pour donner un ren<strong>de</strong>z-vous que l'on souhaite discret, pour<br />

préserver une rencontre <strong>de</strong>s regards du groupe <strong>de</strong> pairs :<br />

Après <strong>de</strong>ux semaines d'absence à la gare je retrouve dans le hall Cédric, 25 ans, sans domicile,<br />

buveur <strong>de</strong> bière et ven<strong>de</strong>ur occasionnel <strong>de</strong> cachets. Sa stratégie à mon égard change (Nour étant<br />

"tombé" et donc absent), sa défiance et sa réserve ont fondu et il s'érige en protecteur. Lorsque<br />

je le rejoins et le salue, il s'écarte <strong>de</strong>s hommes en compagnie <strong>de</strong> qui il buvait <strong>de</strong> la bière,<br />

m'entraîne quelques pas plus loin et marque également la rupture <strong>de</strong> façon discursive (sur le<br />

thème "je sais me tenir, moi"). Il refuse <strong>de</strong> vendre <strong>de</strong>s cachets à un <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur parce qu'il ne<br />

veut pas, "pas <strong>de</strong>vant toi". Lors <strong>d'un</strong> inci<strong>de</strong>nt avec ses précé<strong>de</strong>nts compagnons (l'un d'eux se<br />

colle à moi et tente <strong>de</strong> me mettre "une main au cul" dixit Cédric), il défend son honneur peutêtre<br />

autant que le mien (…) et dans sa para<strong>de</strong> argumente "c'est ma belle -sœur (répété), t'y<br />

touches pas". Il parle <strong>de</strong>s dangers encourus à la gare par une fille, "si elle est avec un mec, ça<br />

va"… En contrepoint, pour la première fois Cédric parle <strong>de</strong> son avenir : "Maintenant je veux<br />

faire ma vie, faire ma vie, trouver une copine avec qui je reste, faire ma vie, m'installer".<br />

Je prends congé, on prend ren<strong>de</strong>z-vous pour le len<strong>de</strong>main, je propose l'heure et lui laisse fixer<br />

le lieu : "Pas dans la gare, pas dans la gare", martèle-t-il, pour éviter que notre rapprochement<br />

soit interrompu et compromis par l'arrivée d'autres personnes ("y'a <strong>de</strong>s mecs qui vont venir").<br />

Ren<strong>de</strong>z-vous donc "là où il y a les taxis", seule façon <strong>de</strong> désigner la Place <strong>de</strong>s Buisses<br />

(j'emploie la taxinomie officielle mais Cédric lui préfère une taxinomie fonctionnelle). Il<br />

s'inquiète <strong>de</strong> ma connaissance du lieu ("tu sais pas où c'est"), comme un rappel <strong>de</strong> mon<br />

étrangeté au lieu (sur le même ton précé<strong>de</strong>mment il me supposait ignorante <strong>d'un</strong> vocabulaire<br />

courant dans le milieu "Nour est tombé, il est tombé, il est tombé, tu sais ce que ça veut dire ?"<br />

—c'est vraiment <strong>de</strong> ce registre-là, <strong>de</strong> test, au moins autant qu'un procédé rhétorique traduisant<br />

l'inquiétu<strong>de</strong>). (août 1999)<br />

La Place <strong>de</strong>s Buisses fait figure d'îlot ; parmi les usagers du lieu, on y trouve dans<br />

la posture du retrait les hommes les plus âgés et les plus isolés. On y rencontre aussi les<br />

hommes maghrébins précé<strong>de</strong>mment décrits, ceux qui "font salon" avec une constance telle<br />

qu'ils partagent avec les chauffeurs <strong>de</strong> taxis, autres habitués <strong>de</strong>s lieux, une certaine<br />

familiarité.<br />

A l'échelle du <strong>quartier</strong> les lieux accessibles aux sé<strong>de</strong>ntaires <strong>de</strong> la gare mettent en<br />

espace un clivage fondé sur l'âge et (schématiquement) le type <strong>de</strong> psychotropes<br />

consommés : <strong>de</strong>s plus vieux, buveurs <strong>de</strong> bière, se distinguent les plus jeunes, plus souvent<br />

toxicomanes. Le dédoublement (en 1992) <strong>d'un</strong>e structure privée d'accueil <strong>de</strong> jour <strong>de</strong><br />

personnes sans domicile accuse cette distinction sommaire. La même association,<br />

institution incontournable dans le champ du travail social à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s sans domicile<br />

dans la région lilloise, dispose désormais dans le <strong>quartier</strong> <strong>de</strong> gare <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux antennes,<br />

ouvertes exclusivement en journée 19 , sur un mo<strong>de</strong> large le matin (une salle est ouverte, les<br />

inscrits peuvent y prendre le café), sur ren<strong>de</strong>z-vous l'après-midi (ren<strong>de</strong>z-vous avec <strong>de</strong>s<br />

19 Dans d'autres lieux <strong>de</strong> la ville, plus périphériques, voire même en bordure <strong>de</strong>s boulevards périphériques, là<br />

où s'arrête la ZAC Euralille 2, d'autres antennes proposent un hébergement d'urgence.<br />

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