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Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

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mais à la réduction qui est opérée mettant en équivalence usagers du lieu et "sans-lieu" <strong>de</strong><br />

l'époque contemporaine. En ce sens, ce ne sont pas les usagers du lieu qui sont<br />

"indésirables", mais les plus pauvres ou les plus "désaffiliés" 5 .<br />

La perspective qui gui<strong>de</strong> ces catégories déjà est problématique : mettre l'accent sur<br />

les usages, c'est, peut-être, accor<strong>de</strong>r un crédit déterminant à <strong>de</strong>s dispositifs préexistants. En<br />

procédant <strong>de</strong> cette manière, l'observation court le risque <strong>de</strong> pré-co<strong>de</strong>r les pratiques ; ces<br />

<strong>de</strong>rnières, sont, dans cette perspective, envisagées comme <strong>de</strong>s réponses à une offre (qu'il<br />

s'agisse <strong>d'un</strong>e offre spatiale, commerciale, ou <strong>de</strong> service). L'autre difficulté que soulève ce<br />

couple <strong>de</strong> catégories est lié à son caractère tranché, présentant ces usages comme<br />

exclusifs : ce qui laisse à supposer que les usagers <strong>de</strong>s transports ne sont pas usagers <strong>de</strong>s<br />

lieux… et inversement. La réalité <strong>de</strong>s pratiques, pourtant, est plus nuancée, et dévoile <strong>de</strong>s<br />

usages imbriqués plus encore que combinés. Les politiques d'aménagement qui se<br />

développent à la gare, et notamment le développement <strong>de</strong>s dispositifs commerciaux,<br />

ten<strong>de</strong>nt par ailleurs à accroître l'attrait du lieu pour les citadins, indépendamment même <strong>de</strong><br />

leurs contraintes <strong>de</strong> transport. Le propre <strong>d'un</strong>e gare est bien d'accueillir <strong>de</strong>s populations qui<br />

ont un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> dépendance au transport très variable (du voyageur à celui qui l'attend, en<br />

passant par le citadin qui achète son journal au passage).<br />

Le couple usagers <strong>de</strong>s transports / usagers du lieu fait écho au couple mobilité /<br />

stationnement et tend à réduire l'usage du lieu à la présence prolongée, comme si seuls<br />

ceux qui y séjournaient sur un temps long habitaient le lieu. Laurent Gille rappelle pourtant<br />

combien « le voyageur est en permanence soumis à une dialectique passage-séjour : passer<br />

dans un espace public, c'est aussi y séjourner et réciproquement, séjourner dans un espace<br />

public s'inscrit obligatoirement dans un passage » 6 . Même à travers une "éthologie <strong>de</strong> la<br />

co-présence" à laquelle invitent les perspectives phénoménologiques, on peut mettre en<br />

évi<strong>de</strong>nce combien le passage est, selon une formulation un peu désuète, une manière<br />

d'habiter le lieu, au sens où le passant n'est pas dépourvu <strong>de</strong> ressources lui permettant <strong>de</strong><br />

cadrer l'espace dans lequel il s'engage.<br />

Ainsi tout se passe comme si la gare était cet « univers transitoire » que décrit<br />

l'écrivain fasciné par l'absence <strong>de</strong>s repères <strong>de</strong> la vie sociale ordinaire, qui oblige les acteurs<br />

à en fabriquer d'autres, liés au contexte, et à les vérifier constamment.<br />

J'adore les gares. A toute heure du jour et <strong>de</strong> la nuit, que je parte ou que je reste. (…) Le soleil<br />

ne pénètre pas vraiment dans les gran<strong>de</strong>s gares, même à midi. Il y règne un jour spécial, artificiel et<br />

tamisé par la verrière, là-haut, du hangar immense qui abrite le hall d'entrée aux quais. C'est un<br />

univers tra nsitoire, comme la scène <strong>d'un</strong> théâtre, que <strong>de</strong>s figurants un peu hagards sillonnent en foule<br />

à pas pressés ou hésitants, se heurtant les uns sur les autres, le nez levé en quête <strong>d'un</strong> tableau<br />

d'affichage, <strong>d'un</strong> numéro, <strong>d'un</strong>e direction –<strong>de</strong>s personnages, dirait-on, en quête d'auteur.<br />

Et <strong>de</strong> fait, dans les gares, à l'exception <strong>de</strong>s employés qui y travaillent, personne n'a <strong>de</strong> rôle.<br />

Chacun y évolue comme en marge <strong>de</strong> soi et du mon<strong>de</strong> extérieur, chacun vient d'arriver ou va partir, et<br />

donc n'est pas là où il doit être, n'est plus à sa place. Il est dans l'Intervalle. Il a perdu ses repères :<br />

son bureau, sa maison, son <strong>quartier</strong>. (…)<br />

Et chacun <strong>de</strong> chercher fébrilement quelque chose, un ersatz <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> qui tiendrait lieu <strong>de</strong>s<br />

repères disparus : le quai n°7 bis, les toilettes, la sortie taxi, la consigne, le bureau <strong>de</strong> tabac, un<br />

marchand <strong>de</strong> sandwichs, le guichet <strong>de</strong>s réservations, le téléphone, les renseignements… peu importe,<br />

pourvu que ça ait l'air vrai. Car dans les gares, on doute <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> tous, <strong>de</strong> soi comme <strong>de</strong>s autres.<br />

On consulte sa montre toutes les <strong>de</strong>ux minutes ; on pose la même question successivement à un<br />

5 Selon l'expression <strong>de</strong> Robert Castel, Les métamorphoses <strong>de</strong> la question sociale, op.cit.<br />

6 L.Gille, « Du rapport entre pôle et place d'échange » in I.Joseph (dir), Villes en gares, op.cit.<br />

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