Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet
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parking", bien que cette activité ne soit pas délictueuse. Nous nous séparons un jour à l'heure<br />
<strong>de</strong> traiter avec un <strong>de</strong>aler <strong>de</strong> cachets, rencontré dans le hall <strong>de</strong> la gare, Nour se penche à mon<br />
oreille et, chuchotant, me donne ren<strong>de</strong>z-vous pour le len<strong>de</strong>main "sur le parking". Il veille à se<br />
placer <strong>de</strong> telle sorte que cette information échappe aux yeux et oreilles indiscrètes, comme pour<br />
ne pas se dévaloriser à avouer qu'il "travaille" et "fait <strong>de</strong> l'argent honnête", en tout cas pour ne<br />
pas mélanger les genres. (juillet-août 1999)<br />
A chaque espace correspond ainsi un registre <strong>de</strong> rôles différents, la gestion <strong>de</strong>s<br />
apparences commandant alors <strong>de</strong> cloisonner soigneusement les lieux et les activités qui y<br />
sont associés. En réponse aux contraintes extérieures, chaque espace est doté <strong>d'un</strong>e qualité<br />
propre. Plus reculés, certains lieux font office d'entre-soi, où les poses peuvent se faire plus<br />
"relâchées" (s'asseoir ou s'allonger), où les nouvelles circulent, comme <strong>de</strong> menues<br />
marchandises (du chocolat, <strong>de</strong>s bières, <strong>de</strong>s joints…), où certaines transactions sont<br />
possibles (trouver quelqu'un qui ait une écriture <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin pour profiter <strong>de</strong> l'aubaine <strong>d'un</strong>e<br />
ordonnance officielle à laquelle on puisse rajouter certains médicaments convoités,<br />
proposer au recel divers petits objets), où surtout la solitu<strong>de</strong> peut être rompue, les propos<br />
extravagants sans que personne s'en offusque et même, se donner en spectacle pour une<br />
tira<strong>de</strong> flamboyante et trouver du public.<br />
Nous sommes une petite douzaine sur le trottoir <strong>de</strong> la rue Sainte Anne. Sauf une dame et moi,<br />
le public est masculin. Il y a <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong>s plus vieux (les âges s'éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la vingtaine à<br />
la soixantaine), à part égale, parfois <strong>d'un</strong> côté à l'autre <strong>de</strong> la rue les regroupements recouvrent<br />
les groupes d'âge, mais ce n'est pas si marqué. Il y a aussi un ou <strong>de</strong>ux esseulés, qui tranchent<br />
dans cette ambiance <strong>de</strong> familiarité. Il y a ceux qui restent, et ceux qui passent. Parmi ceux qui<br />
passent, certains utilisent le lieu comme un repère : ils viennent à la recherche <strong>de</strong> quelqu'un,<br />
<strong>d'un</strong>e information sur un "plan" quel qu'il soit (du recel aux cachets en passant par <strong>de</strong>s<br />
informations plus triviales), ou encore ils viennent se montrer (à l'arrivée <strong>d'un</strong> homme, vêtu <strong>de</strong><br />
neuf <strong>de</strong> pied en cape, arborant un portable, une petite sacoche en cuir, <strong>de</strong>s chaussures neuves<br />
également qui lui blessent les pieds, Cédric laisse échapper : "tiens ! Il est sorti…" –<strong>de</strong> prison).<br />
Mais il y a aussi ceux qui passent par obligation, viennent prendre leur courrier, et partent au<br />
plus vite, sans s'arrêter.<br />
Il y a peu <strong>de</strong> passage dans cette petite rue ; une bonne sœur, trois femmes <strong>de</strong> milieu populaire<br />
discutent un moment sur le trottoir, <strong>de</strong>s enfants autour d'elles, quelques personnes qui<br />
travaillent dans le <strong>quartier</strong>, plutôt chics, qui <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> grosses voitures et lancent<br />
discrètement, autour d'eux, <strong>de</strong>s regards précautionneux. Leur allure est pressée. Parmi ces gens<br />
plutôt aisés, les femmes sont saluées , toujours très poliment, tellement que c'est presque<br />
obséquieux. D'autres passages invitent à <strong>de</strong>s scènes cocasses, saluées dans l'hilarité générale,<br />
comme lorsque <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> la police municipale s'apprêtent à verbaliser la voiture <strong>d'un</strong><br />
éducateur <strong>de</strong> l'ABEJ, mal garée : un <strong>de</strong>s hommes présents s'empresse <strong>de</strong> les en empêcher, va<br />
prévenir l'éducateur, revient, fait durer la scène, <strong>de</strong>vant laquelle les policiers se trouvent un peu<br />
désemparés, ont du mal à trouver une contenance. Cet éducateur fait le lien entre la rue et<br />
l'institution, se montre cordial, va chercher les uns, prend <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong>s autres, mais son<br />
domaine reste l'intérieur, dans la rue il est comme tout le mon<strong>de</strong>, pris par le spectacle, sans<br />
préséance.<br />
Le spectacle. Certains l'animent ; certains en font les frais ; certains le regar<strong>de</strong>nt, d'autres le<br />
commentent. Un homme surtout se charge <strong>de</strong> la mise en scène, la sienne propre et la scène où<br />
sont impliqués ses partenaires. C'est un homme <strong>d'un</strong>e cinquantaine d'années, il <strong>de</strong>scend sa dose<br />
<strong>de</strong> bière mais gar<strong>de</strong>, bon an mal an, la démarche assurée et la voix claire. Comme d'autres<br />
hommes du même âge, c'est un <strong>de</strong>s "frères" d'Aïmane, façon <strong>de</strong> marquer les liens amicaux qui<br />
les unissent. Pendant un long moment il joue une scène en duo ; le duettiste, qui reste sobre, est<br />
plus jeune (il doit avoir une trentaine d'années), et particulièrement jovial. La discussion est en<br />
arabe, tous la suivent, sauf peut-être cette dame <strong>d'un</strong>e soixantaine d'années, Mathil<strong>de</strong>, qui dort,<br />
assise sur le trottoir. Certains essaient <strong>de</strong> s'accrocher aux propos qui fusent et ne s'interrompent<br />
jamais, vifs, sans place pour une réplique extérieure, d'autres en sont tout simplement hébétés,<br />
mais tous en sont curieux. Il est question <strong>de</strong> Bocassa, d'Hassan II qui vient <strong>de</strong> mourir, <strong>de</strong><br />
Voltaire…<br />
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