01.07.2013 Views

Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>de</strong>aler et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur se rapprochent l’un <strong>de</strong> l’autre, c’est là apparemment qu’on conclut le<br />

marché, à voix basse on se met d’accord sur les prix et quantités. Puis on s’éloigne <strong>de</strong> la<br />

gare, dans un coin moins exposé, plus propice à l’échange, vraisemblablement le parvis<br />

Saint-Maurice, la Place Saint-Hubert, la rue Sainte-Anne… cette phase <strong>de</strong> l'échange<br />

n'ayant jamais été observée, sa cartographie <strong>de</strong>meure plus qu'indicative et doit être<br />

entendue avec pru<strong>de</strong>nce ; rien n'indique, d'ailleurs, qu'elle soit pérenne. Parfois la prise <strong>de</strong><br />

contacts est écourtée, un signe <strong>de</strong> tête suffit à ce que ven<strong>de</strong>ur et consommateur se dirigent,<br />

séparément, vers les lieux d’échange. Le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur peut aussi se rendre directement sur<br />

les lieux où la marchandise change <strong>de</strong> mains.<br />

Place <strong>de</strong> la gare, avec Loubna. A un moment un jeune type s’approche d’elle. Tous <strong>de</strong>ux<br />

parlent "en privé" (c’est moi qui co<strong>de</strong>), Loubna s’écarte <strong>de</strong> quelques mètres <strong>de</strong> moi (elle<br />

accompagne son geste d’une assignation : "Bouge pas, je reviens"), ils vont à la gare à pas<br />

pressés, reviennent cinq à dix minutes plus tard, elle lui glisse "Va voir sur le parvis" avant <strong>de</strong><br />

me rejoindre. "Il cherchait <strong>de</strong> la dope ?", je lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors qu’on est assise toutes <strong>de</strong>ux à<br />

l’écart, elle rigole "indiscret", "ok" je réponds, même jeu. (après-midi <strong>de</strong> semaine, juillet 1999)<br />

La gare sert principalement <strong>de</strong> lieu <strong>de</strong> rencontre, qu’on y cherche un reven<strong>de</strong>ur par<br />

voie directe ou via un intermédiaire. Les produits sont délivrés (et consommés) ailleurs, la<br />

phase <strong>de</strong> négociation elle-même ne me semble pas être un réel enjeu, prix et quantités<br />

paraissent normalisés. Le témoignage <strong>de</strong> Karim éclaire ces divers aspects ; il permet en<br />

outre <strong>de</strong> resituer le <strong>quartier</strong> <strong>de</strong> gare dans la géographie métropolitaine : si l'on peut dire que<br />

c'est un point <strong>de</strong> la revente <strong>de</strong> substances psychotropes illicite, il faut insister sur <strong>de</strong>ux<br />

remarques complémentaires, qui nuancent considérablement cette affirmation. D'abord, si<br />

le marché est polymorphe, il est pour l'essentiel consacré au Subutex et aux "cachets", qui,<br />

aux dires <strong>de</strong>s usagers, procureraient une défonce à bas prix : « c'est pas cher », et ce sont<br />

<strong>de</strong>s médicaments, qui sont consommés presque faute <strong>de</strong> mieux (il ne semble pas y avoir<br />

autour <strong>de</strong>s cachets une mythologie du plaisir comparable à celui que procurent d'autres<br />

substances). Ensuite, si le lieu est un point <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous, il semble qu'il soit surtout un<br />

repère par défaut, avant que d'autres « plans » soient (re)trouvés. On peut y voir <strong>de</strong>ux<br />

explications : le lieu est, <strong>d'un</strong>e part, soumis à une surveillance policière importante, et, <strong>de</strong><br />

l'autre, le terrain <strong>d'un</strong>e gran<strong>de</strong> instabilité (on le verra, les ven<strong>de</strong>urs ne semblent pas "faire<br />

territoire" à la gare comme « dans les <strong>quartier</strong>s » ; ce type <strong>de</strong> « plans » <strong>de</strong> rue ne permet<br />

pas un contrôle réel sur la marchandise échangée, qui peut être coupée d'autres produits).<br />

Karim a une vingtaine d'années, il est sorti <strong>de</strong> prison la veille <strong>de</strong> notre rencontre. Il récite les<br />

<strong>de</strong>rnières étapes <strong>de</strong> son parcours sur un ton linéaire, sans intonation, par habitu<strong>de</strong>. "J'ai été pris<br />

avec 700 grammes <strong>de</strong> shit, 50 grammes <strong>de</strong> coke, une voiture volée, et puis j'avais une arme. A<br />

la barre ils ont <strong>de</strong>mandé quatorze mois, j'ai pris un an et j'en ai fait dix mois." Une semaine<br />

avant sa sortie, son amie a avalé toute une boîte <strong>de</strong> cachets ; elle est à l'hôpital, "pour les<br />

dépressions nerveuses et tout ça", "C'est con, manquait plus qu'une semaine, encore une<br />

semaine et j'étais <strong>de</strong>hors". Depuis sa sortie <strong>de</strong> prison, Karim est hébergé dans un foyer, à<br />

Tourcoing. Il dit consommer du Subutex et <strong>de</strong>s cachets, <strong>de</strong> la cocaïne aussi, plus<br />

épisodiquement ; seuls les <strong>de</strong>ux premiers types <strong>de</strong> produits sont recherchés à la gare.<br />

En m'accostant, il me pose <strong>de</strong>ux questions successives. "T'es française ?", puis, vérification<br />

faite que je ne suis pas une touriste anglaise ou hollandaise, "tu sais pas où je peux trouver du<br />

Sub' ?". Pour chercher du Sub', il se rend à la gare. "On en trouve tous les jours, c'est pas cher,<br />

pour vingt francs j'ai mon Sub', mais le dimanche c'est mort, si c'est le dimanche, bon, trente<br />

francs, parce qu'il n'y a personne, hein. Je prends du Sub', <strong>de</strong>s cachets aussi, du Tranxène, <strong>de</strong>s<br />

cachets, <strong>de</strong>s barbituriques moi j'appelle ça. Le Sub' et les cachets, c'est pas pareil, le Sub' c'est<br />

pas <strong>de</strong> la came." L'argument sert aux ven<strong>de</strong>urs comme aux consommateurs ; en cas <strong>de</strong> contrôle<br />

<strong>de</strong> police, avoir sur soi du Subutex, déclaré comme médicament, ne peut donner suite à une<br />

verbalisation.<br />

136

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!