Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet
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9.3.4 Découper : naissance <strong>d'un</strong>e topographie<br />
Les emplacements sont tous extérieurs mais ne sont pas équivalents, et traduisent<br />
l'hétérogénéité <strong>de</strong> la population que forment les jeunes <strong>de</strong>s milieux populaires habitant les<br />
<strong>quartier</strong>s périphériques. Les données d'observation permettent d'approcher l'hypothèse<br />
<strong>d'un</strong>e certaine correspondance entre positions spatiales et positions sociales, celles-ci se<br />
rejouant timi<strong>de</strong>ment à travers celles-là.<br />
Une topographie dont les jeunes <strong>de</strong>s milieux populaires semblent avoir l'exclusive<br />
se dévoile en déclinant les lieux selon les catégories <strong>de</strong> population et <strong>de</strong> psychotropes<br />
consommés. Cette topographie permet à la fois la distinction et la combinaison, une même<br />
personne trouvant <strong>de</strong>s registres différents selon les lieux.<br />
De part et d'autre du centre commercial, la distinction la plus frappante oppose le<br />
Parc Matisse (là où on boit) aux escaliers <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> W. Brandt (là où on fume). Le Parc<br />
se situe dans la continuité <strong>de</strong> la Place F.Mitterrand qui bor<strong>de</strong> le centre commercial, il longe<br />
la gare Lille-Europe ; la rue Willy Brandt, entre le centre commercial et l'aile postale <strong>de</strong> la<br />
gare Lille-Flandres, entraîne vers les boulevards périphériques. Varier les lieux comme on<br />
varie les plaisirs psychotropes peut être compris comme une précaution : les ron<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
police sont régulières dans le Parc et l’alcool n’est pas prohibé. Mais cette interprétation ne<br />
suffit pas. Primo la méfiance à l’égard <strong>de</strong>s patrouilles n’est pas dissoute dans l’alcool (en<br />
cette fin d'après-midi <strong>de</strong> juillet, César et Isaac, à la vue <strong>de</strong> trois policiers qui traversent le<br />
Parc Matisse, font prestement disparaître dans un buisson la bouteille <strong>de</strong> mousseux que<br />
nous venons d’achever, comme si en lissant les apparences ils appliquaient un principe <strong>de</strong><br />
précaution, on ne sait jamais). Secundo il y a <strong>de</strong>s gens qui fument du cannabis dans le Parc,<br />
« <strong>de</strong>s étudiants » d’après les récits qui me sont parvenus. Ce qui semble notable c’est que<br />
cette topographie (Parc=alcool) a cours parmi les jeunes dont nous parlons, qui en<br />
détiennent peut-être l’exclusive.<br />
Ce partage du territoire en recouvre un autre, les escaliers <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> W. Brandt<br />
ne sont jamais occupés que par <strong>de</strong>s garçons plutôt jeunes (14-20 ans), en groupes <strong>de</strong> trois à<br />
huit personnes, rigoureusement masculins ; le Parc Matisse accueille par contraste une<br />
population plus variée, parmi les jeunes, plus <strong>de</strong> couples ou <strong>de</strong> groupes mixtes, même si les<br />
garçons y restent majoritaires, et plus fréquemment aussi <strong>de</strong>s jeunes plus âgés (20-25).<br />
Binaire et simplifiée, cette topographie a <strong>de</strong>s vertus distinctives, et par son caractère<br />
tranché permet aux acteurs <strong>de</strong> combiner les registres sans mélanger les genres : ainsi c’est<br />
parce que « y’a que <strong>de</strong>s ivrognes là-bas » (dans le Parc Matisse) que Mourad et ses copains<br />
n’y vont pas, sauf épisodiquement quand eux-mêmes ont envie <strong>de</strong> boire <strong>de</strong> l’alcool. Ce qui<br />
semble plus rare, en tout cas moins valorisé : ce sont les mêmes garçons qui disaient <strong>de</strong>s<br />
escaliers qu'ils étaient leur « domaine ». Mais on l'a vu cette partie du site Euralille est<br />
nettement plus retranchée que ne l'est le Parc, explicitement dévolu au repos, accueillant<br />
une population plus variée. On pourrait émettre l'idée, somme toute banale, que les choix<br />
<strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> stationnement sont fonction du statut social <strong>de</strong> jeunes plus ou moins fragilisés,<br />
ou simplement plus ou moins à l'aise avec l'exposition constante, plus ou moins près <strong>de</strong>s<br />
usages conventionnels <strong>de</strong>s lieux (repos dans un lieu idoine pour les plus âgés, soustraction<br />
aux regards et recherche d'entre-soi pour les plus jeunes ou les plus marginalisés).<br />
Toutefois cette hypothèse est à manier avec pru<strong>de</strong>nce, dans la mesure où l'usage <strong>de</strong>s lieux<br />
peut être combiné ; et l'on pourrait voir dans ces combinaisons une <strong>de</strong>s richesses du lieu,<br />
dont les ressources en quelque sorte sont multipliées (puisqu'une topographie naissante<br />
permet aux acteurs <strong>de</strong> jouer <strong>de</strong> la variété <strong>de</strong> leurs répertoires <strong>de</strong> rôles). La combinaison <strong>de</strong>s<br />
lieux entre eux dépasse cependant le cadre d'Euralille, strictement délimité.<br />
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