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Anatomie d'un "quartier de gares" : recompositions ... - Urbamet

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l’enquêtrice, soit, mais pourquoi ne pas en tirer avantage ?).<br />

Ka<strong>de</strong>r, 40 ans, au chômage <strong>de</strong>puis quelques mois (était vigile dans une gran<strong>de</strong> surface, rêve <strong>de</strong><br />

re<strong>de</strong>venir mécanicien auto et <strong>de</strong> "monter une affaire" avec un cousin, dans la région lilloise).<br />

Et puis, "si je veux", il peut m’emmener dans <strong>de</strong>s coins <strong>de</strong> <strong>de</strong>al, où c’est risqué, mais si je reste<br />

avec lui (et très près si possible) ça ira. D’ailleurs, on le connaît, je ne parviendrai pas à avoir<br />

beaucoup d’explications mais il laisse entendre qu’il a procédé à <strong>de</strong>s mises au point, physiques,<br />

pour échapper à <strong>de</strong>s embrouilles. Je prends cela comme une façon pour lui <strong>de</strong> se mettre à son<br />

avantage, dans une relation <strong>de</strong> drague larvée, il ne se prive d’ailleurs pas pour me reluquer<br />

(…). C’est aussi à cette occasion-là qu’il bombe le torse, évoque sa pratique sportive, met en<br />

valeur son corps <strong>de</strong> différentes manières. (après-midi <strong>de</strong> semaine, juillet 1999, Place <strong>de</strong> la<br />

gare)<br />

Roger, 45 ans, se dit en congé <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> mécanicien au service après-vente <strong>d'un</strong>e gran<strong>de</strong><br />

surface.<br />

Après le passage <strong>de</strong> Gérald (avec qui effectivement on avait discuté <strong>de</strong>s « plans dope » à la<br />

gare, Roger ne lance pas ce thème spontanément mais c’est l’habillage qui m’intéresse, la<br />

façon <strong>de</strong> le manier pour se présenter à son avantage), Roger me sert un couplet connu "si tu<br />

veux je t’e mmène… on ira voir mon copain Alex, (c’est dangereux) mais comme tu seras avec<br />

moi pas <strong>de</strong> problème, tu diras rien, on dira juste que tu es ma fiancée…" (après-midi <strong>de</strong><br />

semaine, juillet 1999, Place <strong>de</strong> la gare)<br />

La posture d’écoute ouverte que j’essayais d’adopter <strong>de</strong>vait permettre à<br />

l’informateur ou à l’informatrice <strong>de</strong> laisser libre cours à ses pensées ; elle lui proposait, ne<br />

serait-ce qu’en faça<strong>de</strong>, <strong>de</strong> prendre la direction <strong>de</strong> la conversation. Cette maîtrise <strong>de</strong><br />

l’interaction a pu être saisie par certaines personnes pour gui<strong>de</strong>r mon attention vers<br />

d’autres lieux, d’autres pratiques, plus sensationnelles (trafics <strong>de</strong> drogues diverses,<br />

prostitution <strong>de</strong> très jeunes filles), tactique qui permet <strong>de</strong> se constituer en gui<strong>de</strong> plutôt qu’en<br />

objet <strong>de</strong> la curiosité <strong>de</strong> l’observatrice, d’éviter <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> son propre usage du lieu.<br />

Déni <strong>de</strong> présence. “Avouer” une fréquentation assidue <strong>de</strong> lieux dont on vient <strong>de</strong><br />

dépeindre les activités peu recommandables n’est pas une stratégie <strong>de</strong> présentation<br />

valorisante <strong>de</strong> soi ; sans surprise, qui se montrait disert sur les pratiques pendables du lieu<br />

se montrait discret sur sa propre présence.<br />

Loubna, 34 ans, rencontrée une première fois en soirée dans une rue un peu à l’écart <strong>de</strong> la gare,<br />

me touche quelques mots, que je retranscris le jour <strong>de</strong> notre secon<strong>de</strong> entrevue, Place <strong>de</strong> la gare.<br />

C’est moi qui introduit le thème "gare", il est immédiatement suivi <strong>de</strong> "Ah non nous on traîne<br />

pas vers la gare". Quand, insistante, je dis que je m’y intéresse et que je suis souvent “vers la<br />

gare”, Loubna enchaîne : "Où vers la gare ? Devant le MacDo, <strong>de</strong>vant la fontaine ? Vers<br />

l’ABEJ ? Fais gaffe là-bas ils proposent tout, pour vingt balles ils peuvent te carrotter",<br />

portrait du site en coupe-gorge. (…) Maintenant à la gare il y a <strong>de</strong>s gens qui font la manche,<br />

qui n’ont plus <strong>de</strong> fierté, dit-elle. Elle préfère traîner à Rihour (près <strong>de</strong> la Grand Place), dit-elle<br />

mercredi, et si elle n'a pas <strong>de</strong> clopes eh bien tant pis, elle rentre chez elle. Samedi elle justifie<br />

sa présence en expliquant : "Tant que j’ai pas mon paquet <strong>de</strong> dix clopes je reste là", un peu<br />

comme si elle s'avouait bien obligée d'être là, tout en marquant la distinction. (…) "Moi je<br />

préfère fumer tranquille chez moi", dit-elle un joint à la main… (samedi après-midi, juillet<br />

1999, Place <strong>de</strong> la gare).<br />

Gérald (25 ans, vient <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> la maison d'arrêt <strong>de</strong> Loos). Il nous quitte en me lançant : "Je<br />

reviendrai juste pour toi !" (et on rigole…) après les dénégations d’usage ("Je viens pas<br />

souvent ici…"). (après-midi <strong>de</strong> semaine, juillet 1999, Place <strong>de</strong> la gare)<br />

Toutefois le déni <strong>de</strong> présence est à prendre au sérieux, moins comme une omission<br />

ou une tromperie à l’usage <strong>de</strong> l’enquêtrice que comme une volonté marquée <strong>de</strong> s’éloigner<br />

<strong>de</strong> ces lieux décriés.<br />

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