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Westfront 1918 est donc moins un film de guerre qu’un film sur <strong>la</strong> guerre, ayant comme<br />

sujet <strong>la</strong> présence guerrière elle-même. C’est en ceci que se comprend sa totalité, que se<br />

justifie son approche hautement réaliste et que prend p<strong>la</strong>ce a fortiori son intrigue narrative.<br />

La guerre est partout et lorsque son apparente absence se manifeste, elle ne saurait ne pas<br />

gronder, ne pas imploser, ne pas rappeler à l’ordre les écarts qui l’éluderaient. Comme<br />

cette magnifique séquence <strong>du</strong> cabaret, bulle d’abstraction qui finit fatalement par éc<strong>la</strong>ter<br />

pendant un numéro, à <strong>la</strong> grâce d’un contre-champ qui quitte les facéties de <strong>la</strong> scène pour<br />

rappeler au spectateur que l’auditoire n’est formé que de soldats revenus <strong>du</strong> front. Même<br />

aux postes de commandement retranchés, où parvient un messager fourbu, <strong>la</strong> guerre s’étale<br />

de tout son long en se surimposant à <strong>la</strong> ligne d’horizon, formant ainsi un background, assez<br />

lointain et évasif pour ne pas occuper <strong>la</strong> totalité de l’image, mais visuellement présent,<br />

composant le paysage qui accueille en son sein un premier p<strong>la</strong>n désormais contingent. On<br />

voit au loin les gerbes de terre et d’acier ; on entend les inquiétants sifflements, signaux<br />

d’une guerre qui est physiquement présente à chaque photogramme, une guerre que le<br />

front ne saurait contenir entièrement ou garder hors-champ et que l’arrière ne saurait<br />

ignorer totalement. Elle couvre les voix, coupe les dialogues, s’actualise à chaque instant<br />

aux yeux des protagonistes comme à ceux des spectateurs. Chez Pabst, <strong>la</strong> guerre a des<br />

attributs divins. La guerre est partout.<br />

Partout. Même et surtout à l’arrière, dans ses drames intimes et sa quotidienneté<br />

aliénée. Le retour <strong>du</strong> soldat en permission est l’occasion pour Pabst de réitérer son paradigme<br />

de réalisme en abordant cette saynète, tragique vaudeville dans lequel le soldat de mari<br />

voit l’enthousiasme de retrouver son intérieur cosy réfréné par <strong>la</strong> découverte de l’a<strong>du</strong>ltère.<br />

A<strong>du</strong>ltère d’autant plus pathétique puisque motivé par le gain de victuailles. Là encore,<br />

le principe de réalité, brut, froid, délié de sentiments et de pathos calibrés, prime. Aucun<br />

discours de morale, aucun jugement de valeur, peu de passion. La simplicité fulgurante de<br />

<strong>la</strong> scène, son sens littéral : pro<strong>du</strong>it de <strong>la</strong> guerre, l’a<strong>du</strong>ltère attend une réponse de <strong>la</strong> part<br />

<strong>du</strong> guerrier cocufié qui, dans un premier temps, saisit son arme de guerre pour menacer<br />

les deux fautifs. Mais à cet acte guerrier, qu’appelle finalement un premier acte guerrier,<br />

se substituera un second acte guerrier : le silence, l’intériorisation de <strong>la</strong> souffrance, réflexe<br />

conditionnel <strong>du</strong> front. L’arrière est une scène de guerre comme <strong>la</strong> première ligne, avec<br />

ses habitudes bouleversées, ses longues files d’attente en face de boutiques évidées, ses<br />

tragédies, ses injustices aberrantes. La guerre est le dénominateur commun <strong>du</strong> moindre<br />

espace filmique.<br />

Au final, dans le film de Pabst, <strong>la</strong> fiction mime le réel, use <strong>du</strong> trouble documentaire<br />

des reconstitutions et des situations. Il tente de donner, ou plutôt de rendre à <strong>la</strong> guerre son<br />

authenticité totale et originelle. L’ultime scène en est l’illustration. Il y a une réappropriation<br />

<strong>du</strong> principe de réalité dans cette infirmerie de campagne, dans ce qui peut être considéré<br />

comme un retour à l’image, aux images documentaires. L’image n’épargne rien des détails<br />

sordides de son sujet : en son sein les flétrissures, les cris, le sang, le feu et l’acier, <strong>la</strong> mort<br />

et <strong>la</strong> folie. Déclinaison d’une image primaire, première, qui tente de saisir l’événement<br />

guerrier en ne manquant finalement pas de s’interroger sur son propos. Le film se clôt<br />

fortuitement sur une interrogation que l’on oserait apercevoir comme celle <strong>du</strong> principe de<br />

réalité usité.<br />

<strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

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