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Les libertariens :<br />

Réactionnaire, le personnage de Cal<strong>la</strong>han l’est, mais on pourrait<br />

parler de manière plus poussée <strong>du</strong> fondement de <strong>la</strong> pensée d’Eastwood<br />

qui tendrait à une certaine forme « libertaire ». Pensée que l’on pourrait<br />

dire en France néolibérale, dans le sillon de l’esprit de mai 68. Pour<br />

expliquer ce qu’est <strong>la</strong> pensée « libertaire » ou plutôt ici libertarienne<br />

(terme qui enlève toute confusion avec l’esprit libertaire propre aux<br />

années 60) de Eastwood, il faut parler (entre autres) <strong>du</strong> multi-millionaire<br />

britannique Antony Fisher, l’un des acteurs les plus influents de <strong>la</strong><br />

montée en puissance des think-tanks libertariens dans <strong>la</strong> seconde moitié<br />

<strong>du</strong> XX e siècle. Lecteur de Friedrich von Hayek dès 1945, il le rencontre<br />

<strong>la</strong> même année. L’économiste le convainc de <strong>la</strong> nécessité de mettre en<br />

p<strong>la</strong>ce un réseau de think-tanks pour soutenir son projet de changement<br />

de <strong>la</strong> société. Pour répandre <strong>la</strong> pensée libertarienne, Antony Fisher a<br />

créé 90 instituts dans le monde. Au centre de cette toile, le Manhattan<br />

Institute de New York joue le rôle de briseur de tabous. La « Révolution<br />

conservatrice » qu’il promeut veut éliminer <strong>la</strong> contre-culture des années<br />

60 et en finir avec le féminisme. Surtout, elle vise à démanteler les<br />

services sociaux et à repousser les popu<strong>la</strong>tions noires et pauvres hors de<br />

<strong>la</strong> mégalopole. C’est là qu’ont été é<strong>la</strong>borés les discours de l’intolérance<br />

moderne : l’inadaptabilité des Noirs, le « zéro tolérance » face aux<br />

incivilités et <strong>la</strong> « compassion basée sur <strong>la</strong> foi ». (sources : voltairenet)<br />

Anarcho-mercantilisme : Courant d’idées qui présente souvent avec<br />

subtilité et même ludisme <strong>la</strong> soumission au marché comme l’incarnation<br />

des idées libertaires parvenues à maturité. Le marché apparaît donc<br />

comme <strong>la</strong> victoire d’une espèce de ruse anarchiste de l’Histoire,<br />

accomplissant une synthèse pacifique de tous les rapports sociaux<br />

(économiques, politiques, culturels, etc.) censés être uniquement<br />

appréhendés à partir de l’indivi<strong>du</strong> particulier. Têtes de file <strong>du</strong> courant :<br />

Milton Friedman, James M. Buchanan, Gordon Tullock, Friedrich von<br />

Hayek – considérés comme les grands inspirateurs de <strong>la</strong> « révolution<br />

conservatrice américaine » – pour nous <strong>la</strong> contre-réforme néolibérale.<br />

Libertariens : Certainement <strong>la</strong> secte <strong>la</strong> plus ludique de <strong>la</strong> grande famille<br />

anarcho-mercantiliste. Tête de file : Robert Nozick.<br />

La grande astuce est de se présenter comme « radical » et même de<br />

« combattre » les anarcho-mercantilistes conservateurs allergiques à<br />

<strong>la</strong> liberté de l’avortement et à <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion contrôlée des drogues (sur<br />

ces points, les libertariens sont beaucoup plus avancés que beaucoup<br />

de progressistes c<strong>la</strong>ssiques…).<br />

Les libertariens savent très bien jouer <strong>du</strong> côté sé<strong>du</strong>isant de leur<br />

rôle de néobourgeois festifs, pour masquer une légitimation cynique<br />

<strong>du</strong> statu quo et même une accentuation dramatique des inégalités.<br />

Ils poussent à fond le principe <strong>du</strong> anything goes et défendent l’idée<br />

d’une liberté privée maximale qui ne peut être atteinte, selon eux, que<br />

dans le cadre d’une économie de marché, associée à un État minimal<br />

(« veilleur de nuit ») ayant au plus pour fonction d’assurer l’ordre et <strong>la</strong><br />

justice afin d’éliminer <strong>la</strong> violence et de protéger les droits de propriété.<br />

Il s’agit donc, en particulier, de s’en tenir au principe ultraconservateur<br />

– inspiré par Pareto – de recherche de répartition sociale des richesses<br />

soumise à une condition expresse : ne léser personne (et surtout pas<br />

les deux mille habitants de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète qui possèdent autant que deux<br />

milliards d’autres).<br />

Ce principe avait, semble-t-il, inquiété le chef de l’administration<br />

Mitterrand qui, à <strong>la</strong> fin de sa vie, aurait déc<strong>la</strong>ré : « J’ai peut-être échoué.<br />

J’étais pourtant de bonne volonté – j’ai voulu améliorer le sort de<br />

chacun sans léser personne. »<br />

62 <strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

homme qui a fait <strong>la</strong> guerre de Corée,<br />

cet homme qui eut les coudées<br />

franches de par <strong>la</strong> stature de son<br />

pays, n’eut certainement pas le loisir<br />

et le désir d’avoir des remords tant<br />

que l’Amérique écrasa le monde. Au<br />

fur et à mesure de <strong>la</strong> dégradation de<br />

cette puissance (et qui correspond<br />

en gros au trajet <strong>du</strong> cinéaste), le<br />

remords se fixa peu à peu dans <strong>la</strong><br />

tête de Kowalski. Ce n’est donc pas<br />

un remord qui vint spontanément<br />

mais plutôt sur le tard devant <strong>la</strong><br />

déperdition d’un peuple.<br />

L’un des premiers p<strong>la</strong>ns de<br />

Gran Torino (le troisième pour être<br />

précis : le premier étant celui de <strong>la</strong><br />

prise de vue extérieure de l’église<br />

où a lieu l’enterrement de <strong>la</strong> femme<br />

de Kowalski et le deuxième celui <strong>du</strong><br />

joueur d’orgue avec son instrument<br />

à l’intérieur de cette même église) est<br />

celui <strong>du</strong> trajet d’un ami de <strong>la</strong> famille<br />

qui va vers Eastwood (debout, droit<br />

et digne), voit sur son parcours<br />

<strong>la</strong> photo de <strong>la</strong> femme de celuici<br />

et son cercueil et présente ses<br />

condoléances : ce trajet symbolise<br />

<strong>la</strong> repentance et <strong>la</strong> compassion<br />

devant <strong>la</strong> mort et se positionne en<br />

contradiction absolue avec les p<strong>la</strong>ns<br />

des petits-enfants de Kowalski qui<br />

ne sont que dans <strong>la</strong> moquerie et qui<br />

restent assis bien à distance sur leurs<br />

sièges, si loin <strong>du</strong> deuil (les propres<br />

enfants de Kowalski même s’ils sont d’âge a<strong>du</strong>lte sont regardés et filmés de manière identique).<br />

La scène est d’ailleurs un calque de celle qui viendra plus tard, à l’enterrement de Walter. Dans<br />

cette dernière, un bémol apparaît cependant avec <strong>la</strong> présence des Hmongs : l’ombre <strong>du</strong> défunt<br />

p<strong>la</strong>ne alors et distille comme un ma<strong>la</strong>ise dans les paroles <strong>du</strong> prêtre. Mais ces paroles ne tombent<br />

pas jusque dans les oreilles visiblement sourdes des enfants et des petits-enfants <strong>du</strong> défunt qui<br />

Définitions nettes et précises issues <strong>du</strong> glossaire pour lecteur peu<br />

versé dans l’économie politique, Vivre et penser comme des porcs,<br />

Gilles Châtelet, pp.183, 187.

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