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croiront tous jusqu’au dernier moment avoir leur part d’héritage : seul est troublé pendant <strong>la</strong><br />

messe le fils que l’on a vu le plus pendant le film, et qui se retourne vers Thao à <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> lecture<br />

<strong>du</strong> testament. Il semble hésiter entre <strong>la</strong> tristesse et presque un é<strong>la</strong>n de curiosité (et de « regret »)<br />

envers Thao (et envers son père). Dès le début <strong>du</strong> film, dès ce fameux troisième p<strong>la</strong>n que je<br />

viens de décrire, Kowalski savait que c’était <strong>la</strong> fin, sa fin qui était proche (il apprend qu’il est<br />

ma<strong>la</strong>de et essaye en vain de se tourner vers ses enfants), que le monde qui l’entoure n’est plus<br />

le sien (pendant tout le film il enrage, pousse des cris caverneux). Dans The bridges of Madison<br />

County et Letters from Iwo Jima, le remords aussi était enfoui, caché aux yeux de <strong>la</strong> famille ou<br />

<strong>du</strong> peuple. Seuls les témoignages écrits venaient faire voler en éc<strong>la</strong>t <strong>la</strong> vérité officielle. Mais ces<br />

témoignages arrivaient aussi avec <strong>la</strong> mort. Ils arrivaient comme un couperet. Quelque chose<br />

de l’ordre de l’absolution est venu se lover ici dans le <strong>cinéma</strong> d’Eastwood. Le prêtre est devenu<br />

une figure récurrente de ces derniers films. Il vient pour l’absolution et comme un spectre de <strong>la</strong><br />

mort, il est le signe de <strong>la</strong> fin. Kowalski discutera de nombreuses fois avec lui dans Gran Torino.<br />

Le « padre » lui lâchera à un moment ceci dans un bar : « Vous en savez plus sur <strong>la</strong> mort que sur <strong>la</strong><br />

vie », sous-entendant que l’homme sait plus détruire que construire. Puis dans sa fausse vraie<br />

absolution dans l’obscurité de l’église (toute <strong>la</strong> dernière demi-heure <strong>du</strong> film jusqu’à <strong>la</strong> mort de<br />

Walt se joue dans l’obscurité), Kowalski dira ceci : « Je n’ai jamais su y faire avec mes enfants ».<br />

L’initiation de Thao est comme une tentative de réponse, de rédemption de cet état de fait.<br />

Reste que Spike Lee a raison de vouloir se défaire de<br />

cette ronde immuable que tend à être ce <strong>cinéma</strong> (<strong>la</strong> ronde<br />

de <strong>la</strong> culpabilité de l’homme b<strong>la</strong>nc devant sa toute-puissance<br />

colonialiste et destructrice). C’est son devoir d’Afro-américain.<br />

Ce <strong>cinéma</strong> eastwoodien est d’un autre temps, celui où rien<br />

ne bougeait. Et le fait est que même lorsque les choses<br />

bougent, que même lorsqu’un film de guerre est fait par un<br />

Noir et traite de thèmes raciaux, celui-ci a <strong>du</strong> mal à être vu.<br />

C’est un miracle s’il est vu même, puisque Miracle at Santa-<br />

Anna, le dernier film de Spike Lee qui raconte <strong>la</strong> vie <strong>du</strong> premier régiment noir américain de <strong>la</strong><br />

Seconde Guerre mondiale n’a plus de date de sortie en France alors même qu’il en avait une<br />

au printemps 2008. Ce qui veut dire que le film ne sortira pas en salles 3 . Sortira-t-il en DVD en<br />

France ? Rien n’est moins sûr. D’où vient <strong>la</strong> censure ? Du distributeur lui-même (en France TFM,<br />

filiale de TF1 et de Miramax) semble-t-il, qui a trouvé le film faib<strong>la</strong>rd, qui a vu aussi dans les<br />

critiques américaines, dans <strong>la</strong> polémique italienne et surtout dans <strong>la</strong> déroute au box-office US<br />

(8 millions de dol<strong>la</strong>rs de recette pour 45 millions de budget) l’argument imp<strong>la</strong>cable pour ne pas<br />

sortir le film dans l’hexagone. Les films de Eastwood (Gran Torino est son plus gros succès au<br />

box-office et plus encore a fait l’unanimité médiatique en France), eux, sont en pleine lumière<br />

comme un contrepoint à l’éc<strong>la</strong>irage sombre qui parcourt <strong>la</strong> plupart des scènes <strong>du</strong> cinéaste 4 :<br />

Clint préfère l’ombre et l’image sombre. Il a inventé quasiment un noir et b<strong>la</strong>nc en couleurs.<br />

C’est que le <strong>cinéma</strong> c’est le mythe, pas <strong>la</strong> télévision (pour Clint) et que le mythe a toujours été<br />

3 Le film fut présenté en avant-première au Festival <strong>du</strong> Cinéma Américain de Deauville en septembre 2008 mais n’est pas sorti en octobre<br />

2008 comme prévu. En dehors des États-Unis, il n’est jamais sorti <strong>du</strong> tout, ni en France ni dans <strong>la</strong> plupart des pays européens, si ce n’est en Italie<br />

évidemment.<br />

4 « Les Cahiers <strong>du</strong> Cinéma : Vous avez dit que si vous pouviez vous permettre de faire une image aussi sombre, c’est parce que le film a été fait pour<br />

le <strong>cinéma</strong> et non pour <strong>la</strong> télévision. Pensez-vous qu’il est important aujourd’hui pour un cinéaste de bien marquer <strong>la</strong> différence entre le <strong>cinéma</strong> et <strong>la</strong><br />

télévision ?<br />

Clint Eastwood : Oui, je crois à <strong>la</strong> spécificité <strong>du</strong> <strong>cinéma</strong>. Il existe, bien sûr, des films <strong>du</strong> passé où le travail sur l’image passe très bien à <strong>la</strong> télévision. Le<br />

<strong>cinéma</strong> ne peut pas imiter l’éc<strong>la</strong>irage homogène d’une série télé, il doit créer des ambiances. Chaque film doit avoir sa propre ambiance. Si on commence<br />

à penser d’avance au passage à <strong>la</strong> télé, on ne fait plus <strong>du</strong> travail <strong>cinéma</strong>tographique. (...) Comme <strong>la</strong> plus grande partie <strong>du</strong> film se déroule <strong>la</strong> nuit, j’ai<br />

pensé que c’était l’occasion d’utiliser ce qu’on appelle une lumière-affect, c’est-à-dire une lumière qui agit sur l’histoire, qui l’éc<strong>la</strong>ire dramatiquement.<br />

Beaucoup d’histoires au <strong>cinéma</strong> sont affaiblies par une lumière p<strong>la</strong>te, sans relief. Alors j’ai dit aux techniciens qu’on al<strong>la</strong>it faire comme si c’était <strong>du</strong> noir<br />

et b<strong>la</strong>nc en couleurs. » Extrait de l’interview des Cahiers <strong>du</strong> <strong>cinéma</strong> à <strong>la</strong> sortie de Bird dans le numéro 409. Des années plus tard (dans le numéro<br />

599 des Cahiers) à <strong>la</strong> sortie de Million Dol<strong>la</strong>r Baby, sur le même sujet, Eastwood fit quasiment les mêmes réponses.<br />

<strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

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