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Mais nous parlions <strong>du</strong> corps. Des corps. Et ces corps, si intensément filmés, ne sont pas seulement humains.<br />

Si Boni tire sur les chats, il est d’une tendresse singulière pour son <strong>la</strong>pin. Et ce qui peut sembler anecdotique<br />

concourt à révéler ce qui intéresse Denis dans les rapports entre êtres bien vivants. Le sentiment est une<br />

zone explorée avec prudence, et sa dérive, le sentimentalisme, toujours désamorcée. Or, s’il est bien un<br />

terrain où l’on s’embourbe régulièrement dans le sentimental à deux sous : celui des trente millions de<br />

bestioles. Sans faire <strong>du</strong> sort <strong>du</strong> chat dans 35 rhums l’antidote radical à ces débordements, je pense à cette<br />

chose peut-être pas coutumière non plus : sans exclure une certaine sé<strong>du</strong>ction, C<strong>la</strong>ire Denis ne semble ni<br />

chercher à s’appuyer sur notre possible dégoût ou rejet (Gaspar Noé ?), ni s’inquiéter de nous sembler<br />

sympathique (Amélie Jeunet ?), ou <strong>la</strong> savante alternance des deux (Quentin Tarantino ? pas dans <strong>la</strong> même<br />

cour que les deux précédents, certes). Mais revenons à nos vaches, cochons, couvées ; nous quittons ici <strong>la</strong><br />

sensiblerie animalière pour déceler avant tout des liens tangibles et plus troubles à <strong>la</strong> fois : Alex Descas et<br />

ses coqs, évidemment, dans S’en fout <strong>la</strong> mort. Des préparatifs pour le combat à <strong>la</strong> danse sur Buffalo Soldier,<br />

le coq nommé « S’en fout <strong>la</strong> mort » est, tout en y restant irré<strong>du</strong>ctible, tel un prolongement <strong>du</strong> corps de<br />

son entraîneur, tandis que son successeur apparaît comme celui de <strong>la</strong> femme désirée, Solveig Dommartin,<br />

dont il prendra le nom, Toni.<br />

Le fou rire de Golubeva dans ce <strong>cinéma</strong>, quand elle comprend,<br />

quand elle comprend… Pourquoi ai-je raté La Chatte à deux têtes ?…<br />

Les corps ont des noms, pour le tout, pour <strong>la</strong> partie. Mireille Perrier regarde l’enfant répéter avec son père<br />

les noms camerounais des différentes parties <strong>du</strong> visage qu’il désigne <strong>du</strong> doigt, comme elle les répétait ellemême,<br />

petite fille, avec Isaach de Bankolé, le boy de <strong>la</strong> famille dans Choco<strong>la</strong>t. Sur un mode plus pudique<br />

peut-être, ce sont des noms de vêtements que Colin fait répéter à son co-légionnaire dans Beau Travail.<br />

Ces noms, ces mots que l’on s’efforce d’apprendre, sonnent comme des incantations des corps, là, tant<br />

pour nous aider à les apprivoiser, les reconnaître peut-être, un jour, que pour ne pas oublier leur distance,<br />

leur altérité. De même que s’il n’exclut pas <strong>la</strong> fascination, le regard qui porte les p<strong>la</strong>ns, ne vise jamais <strong>la</strong><br />

fusion. Les p<strong>la</strong>ns cherchent, in<strong>la</strong>ssablement, et, parfois... presque une grâce ?... Les corps sont, au beau sens<br />

<strong>du</strong> mot, l’asile de ce <strong>cinéma</strong>. Ne pas être prude. Mais ne rien voler. Au moins ne jamais chercher l’un ou<br />

l’autre, le puritanisme et le viol, et les prévenir, en désamorcer <strong>la</strong> menace, alors qu’ils guettent, à <strong>la</strong> fois si<br />

sûrs d’eux et si étonnés, si habitués à prendre possession des lieux, main dans <strong>la</strong> main… Alors le regard se<br />

réajuste sans cesse, cherche à ne pas perdre sa p<strong>la</strong>ce sur le fil, et il faut autant de petits pas – des variations<br />

de <strong>la</strong> valeur des p<strong>la</strong>ns, des cadres dans le cadre et de <strong>la</strong> distance (ainsi des combats des coqs de S’en fout <strong>la</strong><br />

mort) –, que d’é<strong>la</strong>ns de <strong>du</strong>rée dans l’étirement des p<strong>la</strong>ns (jusqu’à ceux si éprouvants de Trouble Every Day) ;<br />

dans l’étreinte comme dans le combat.<br />

Les bruits de <strong>la</strong> ville <strong>la</strong> nuit, <strong>du</strong> périph’, depuis le toit de l’immeuble, comme une cabane,<br />

les bruits presque doux, tellement, tellement doux maintenant…<br />

Des bruits rouges et bleus, maintenant pour moi. Néon, now…<br />

La voix de Jean-Louis Murat est reconnaissable. Elle a commencé. Camille, Richard Courcet dans J’ai<br />

pas sommeil, apparaît en robe fourreau d’un velouté sombre, <strong>la</strong>rge bandeau prolongeant le visage : des<br />

« manches » <strong>du</strong> même tissu que <strong>la</strong> robe achèvent de dessiner les mouvements de ses bras d’où jaillissent,<br />

fins et très longs, des doigts précis qui étirent les gestes, les suspendent, sans les arrêter, sans les fermer. Le<br />

petit lip-sync <strong>du</strong> p<strong>la</strong>yback est discret. This is all a tape recording. L’attention est tout de suite sur l’ensemble.<br />

Sur les volutes. Sur cette étrange présence si compacte et presque immatérielle à <strong>la</strong> fois. P<strong>la</strong>yback. Corps<br />

qui chante. Mais corps sans voix. Ou corps décalé de <strong>la</strong> voix. Union impossible ou illusoire. Fracture.<br />

Camille. L’autre corps. It’s all recorded. Celui que l’on ne peut croire comprendre tout à fait. Et en même<br />

<strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

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