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eviendra ou pas (ce dont on se fiche éper<strong>du</strong>ment), plutôt que de nous demander jusqu’à quand<br />

l’armée israélienne pourra continuer à venir attaquer le Liban (ou <strong>la</strong> Palestine), tuer, le détruire,<br />

repartir, revenir, et ainsi de suite. N’en demandons pas trop, car comme dit Godard : les hommes<br />

les plus humains font des <strong>cinéma</strong>thèques, pas <strong>la</strong> révolution. C’est dans Notre Musique, nous y<br />

retournons, j’étais parti pour discuter de ce film et je me suis lentement détourné de ma tâche.<br />

Puis il y a <strong>la</strong> discussion de Judith avec feu le poète palestinien Mahmoud Darwich. « Ni <strong>la</strong><br />

victoire ni <strong>la</strong> défaite ne sont des termes militaires », lui dit-il pour justifier en partie son point de<br />

vue sur le conflit israélo-palestinien, le fait qu’il considère que le peuple palestinien a <strong>la</strong> chance<br />

et le malheur d’avoir pour ennemi l’État d’Israël. Raconter <strong>la</strong> défaite, reste, pour le poète qui est<br />

<strong>du</strong> côté des perdants, <strong>la</strong> seule victoire possible. Pour Darwich, comme visiblement pour Joana<br />

Hadjithomas et Khalil Joreige, il s’agit de ne surtout pas <strong>la</strong>isser cette victoire aussi, aux mains de<br />

l’oppresseur.<br />

Enfin, nous y voilà, c’est <strong>la</strong> séquence où Godard donne une leçon de <strong>cinéma</strong> devant des<br />

étudiants sarajeviens – ne doutons pas que cette situation aura échauffé les oreilles de Rancière,<br />

qui, un peu cancre, aura probablement cherché quelque chose à reprocher au maître pas assez<br />

« Aller à <strong>la</strong> lumière et <strong>la</strong> diriger sur notre nuit, notre<br />

musique » :<br />

Le lien entre <strong>la</strong> lumière et le <strong>cinéma</strong> que Godard<br />

opère dans son énoncé de « notre musique » peut être<br />

mis en re<strong>la</strong>tion avec le maelström d’images de guerres<br />

dans <strong>la</strong> première partie <strong>du</strong> film ROYAUME 1 ENFER, en<br />

particulier celles de l’explosion nucléaire <strong>du</strong> film Kiss Me<br />

Deadly (1955) de Robert Aldrich. Certaines de ces images<br />

semblent annoncer que <strong>la</strong> guerre c’est « s’approprier <strong>la</strong><br />

lumière et <strong>la</strong> diriger contre les autres ». Il convient de<br />

rapporter ici, d’une part, <strong>la</strong> connivence biblique de Lucifer<br />

avec <strong>la</strong> lumière, d’autre part les propos de Paul Virilio :<br />

« [...] D’où l’invention des armes « secrètes », bombes<br />

vo<strong>la</strong>ntes, fusées stratosphériques, prémisses <strong>du</strong> « Cruise<br />

Missile » et des engins balistiques intercontinentaux,<br />

mais d’abord de ces armes invisibles qui rendent visible<br />

(armement utilisant déjà les divers rayonnements)<br />

non seulement ce qui se tient au-delà de l’horizon, ce<br />

que cache <strong>la</strong> nuit, mais surtout ce qui n’existe pas ou<br />

pas encore, <strong>la</strong> fiction stratégique de <strong>la</strong> nécessité d’un<br />

armement utilisant les radiations atomiques, fiction qui<br />

aboutira à <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> guerre à celle de l’arme « absolue ».<br />

[...] » 1 . Notons que nous sommes, là encore, en présence<br />

de <strong>la</strong> fiction des vainqueurs, ainsi on ne s’étonnera pas<br />

d’entendre autre part Godard défendre le droit de l’Iran à<br />

se doter, « comme les autres », de l’arme nucléaire 2 . Dans<br />

Notre Musique, le cinéaste semble tenter de sauver <strong>la</strong><br />

lumière à l’intérieur de l’être que nous procurent certains<br />

films, n’éludant pas, ne filtrant pas, <strong>la</strong> dimension historique<br />

lumineuse victorieuse (au sens militaire) fasciste propre<br />

au <strong>cinéma</strong>. À l’écran : une simple ampoule lumineuse<br />

sous un abat-jour, oscil<strong>la</strong>nte, chaotique, mais déjà un<br />

peu imprégnée de fiction, « comme dans un film noir »,<br />

pour paraphraser un autre film de Godard. Être en guerre<br />

contre soi-même.<br />

« Ceux qui vivent doivent apprendre à regarder, ou ceux<br />

qui regardent doivent apprendre à vivre – au choix. »<br />

Germaine Tillion, Vivre pour comprendre.<br />

1 P. Virilio, Guerre et <strong>cinéma</strong> I, Logistique de <strong>la</strong> perception, p.137 (c’est<br />

moi qui surligne).<br />

2 Dans sa discussion avec le journaliste Christophe Kantcheff dans le<br />

film Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard d’A<strong>la</strong>in Fleischer.<br />

ignorant. C’est lors de ce cours que le cinéaste<br />

propose le fameux (champ ; contrechamp),<br />

(fiction ; documentaire), (Israélites qui arrivent<br />

en Palestine ; Palestiniens qui quittent leur<br />

terre) à partir d’une lecture critique de deux<br />

photographies d’actualité. L’une est en couleur,<br />

le nouveau, l’arrivée des Israélites, l’autre en noir<br />

et b<strong>la</strong>nc, l’ancien, le départ des Palestiniens, mais<br />

les deux répondent au même régime d’image.<br />

Contrairement aux allégations de Rancière,<br />

premièrement, les éléments de ces couples<br />

ne doivent pas être c<strong>la</strong>irement séparés pour<br />

Godard, ils forment un antagonisme reposant sur<br />

un événement historique commun dont <strong>la</strong> date<br />

est 1948 et le nom est « guerre d’occupation »<br />

(le fameux « un se divise en deux » de Mao) ;<br />

deuxièmement, dans le second couple, les<br />

éléments ne sont pas à prendre dans un sens<br />

simplement esthétique, ils sont étroitement liés<br />

à l’exemple que donne le cinéaste (d’ailleurs,<br />

plus loin, Godard parlera plus généralement<br />

non plus de « fiction » et de « documentaire »<br />

mais de « réel » et d’« imaginaire », « imaginaire :<br />

certitude, réel : incertitude, le principe <strong>du</strong> <strong>cinéma</strong>,<br />

aller à <strong>la</strong> lumière et <strong>la</strong> diriger sur notre nuit, notre<br />

musique. »), « fiction » porte ainsi ici précisément<br />

l’attention sur le mythe biblique de <strong>la</strong> Terre<br />

Promise à l’origine de l’Exode et de l’é<strong>la</strong>n<br />

décidé des juifs vers <strong>la</strong> terre de Palestine, et<br />

« documentaire » sur le réel des Palestiniens en<br />

<strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

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