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ses compatriotes : il veut réconcilier de force des tendances trop contraires, et son génie <strong>du</strong><br />

brico<strong>la</strong>ge ne suffit plus à assembler ces éléments épars. Lui manque-t-il une certaine critique<br />

de <strong>la</strong> part maudite de l'Occident, dans l'empressement qu'il montre à vouloir prouver qu'un<br />

pont naturel est possible entre les cultures ?<br />

Lui dont le secret est de ne jamais parler, et de <strong>la</strong>isser le silence régner dans ses films,<br />

emploie <strong>la</strong> musique d'une façon appuyée. La bande originale <strong>du</strong> film est une collection de<br />

morceaux mé<strong>la</strong>ngeant une influence orientale, dans le chant et <strong>la</strong> mélodie, et une influence<br />

moderne, avec des rythmiques de dancefloors : on y trouve le DJ Amon Tobin, ou Mirwais, l'expunk<br />

français devenu pro<strong>du</strong>cteur pour Madonna. Lui faisons-nous alors un procès d'impureté ?<br />

C'est peut-être sa grande force comique de savoir que le <strong>cinéma</strong> est un art impur. Nous<br />

notons simplement cette tendance, un peu systématique à chercher le cross-over musical, le<br />

syncrétisme pop un peu forcé. D'ailleurs cette envahissante bande son recouvre uniformément<br />

les scènes de fantasme et les scènes diégétiques : le I Put A Spell on You de Natacha At<strong>la</strong>s sur <strong>la</strong><br />

scène « réelle » où Elia défie <strong>du</strong> regard l'automobiliste au drapeau israélien, Amon Tobin sur <strong>la</strong><br />

scène fantasmée où le checkpoint s'effondre.<br />

Le trait d’Elia Suleiman semble alors manquer de netteté. Le « corps glorieux » est manqué,<br />

il est mi-figue mi-raisin. C'est peut-être qu'il n'a pas pris <strong>la</strong> mesure exacte de ses moyens. Il y<br />

a une scène dans Chronique d'une disparition, où des soldats pénètrent chez lui alors qu'il est<br />

en pyjama. Les soldats en ordre de commando et formation serrée bondissent à chaque porte<br />

pour surprendre l'occupant selon les règles ; Elia se tient au milieu, passe et repasse devant<br />

eux mais rien à faire, ils ne le remarquent tout simplement pas : il passe visiblement sous<br />

<strong>la</strong> barre de leurs capteurs de danger potentiel. Cette scène injecte le personnage Elia dans<br />

son propre dispositif burlesque : pour une fois il n'est pas qu'un œil photographique, mais<br />

un corps, dont <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité est de dégager une menace zéro. Et c'est bien de ce point de<br />

vue qu'il incarne un étrange corps épique. Elia Suleiman se filme in<strong>la</strong>ssablement, comme s'il<br />

sentait un mystère autour de son visage. C'est qu'il est, comme celui de Keaton, d'une étrange<br />

beauté, à <strong>la</strong> fois grave et léger, viril et doux. C'est sans aucune emphase sur le sex appeal qu'il<br />

aurait pu, sans doute, réaliser l'exploit de passer le checkpoint sous les yeux des soldats : ils ne<br />

l'auraient pas aperçu, comme s'il avait cet art <strong>du</strong> danseur immobile, cet art de devenir gris, de<br />

se fondre dans le décor, pas caméléon pour autant mais plutôt, homme sans particu<strong>la</strong>rités,<br />

homme simple. Au lieu de <strong>la</strong> machine sans mère des dadaïstes et de Keaton, on le retrouve à<br />

<strong>la</strong> fin assis à côté de sa mère, à pleurer son père. On ne peut tout de même pas lui reprocher<br />

son humanisme. Mais cette volonté d'unir les contraires fait sans doute manquer au film sa<br />

pleine puissance ; et c'est sans doute pour ce<strong>la</strong> qu'il s'attire autant les faveurs des bonnes<br />

âmes des festivals.<br />

54 <strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

balthazar c<strong>la</strong>ës

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