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Cette opposition entre deux cinéastes, Mograbi et Folman n’est pas<br />

vaine. Elle actualise puissamment les dilemmes et les ambiguïtés de <strong>la</strong><br />

figure de l’artiste engagé, résumés dans l’œuvre et <strong>la</strong> vie de Camus. C’est<br />

dans son discours de Suède, à l’occasion de <strong>la</strong> remise de son prix Nobel<br />

(1957) qu’il exprimait bril<strong>la</strong>mment cette exigence :<br />

« Le rôle de l’écrivain ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition,<br />

il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est<br />

au service de ceux qui <strong>la</strong> subissent. Toutes les armées de <strong>la</strong> tyrannie avec<br />

leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à <strong>la</strong> solitude, même et surtout<br />

s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu,<br />

abandonné aux humiliations à l’autre bout <strong>du</strong> monde, suffit à retirer l’écrivain<br />

de l’exil, chaque fois <strong>du</strong> moins qu’il parvient, au milieu des privilèges de <strong>la</strong><br />

liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de<br />

l’art. »<br />

Pourtant, il est vrai que Camus, contrairement à Sartre, refusa<br />

toujours de soutenir l’indépendance de l’Algérie. On peut penser qu’il fut<br />

aveuglé par son attachement personnel à cette terre 1 . Son expérience, ses<br />

sentiments l’ont con<strong>du</strong>it à négliger le devoir moral qu’il avait formulé. On<br />

pense alors à Folman qui, en dépit d’un discours simpliste en faveur de<br />

<strong>la</strong> paix, va chercher son Golden Globe à Hollywood pendant que l’armée<br />

de son pays met Gaza à feu et à sang, sans même dire un mot sur le sujet.<br />

C’est donc <strong>la</strong> cohérence entre le discours et les actes de Mograbi qu’il<br />

nous semble important de mettre en avant et de défendre.<br />

Qui, de Mograbi ou de Folman est au service de ceux qui font<br />

l’Histoire ? Qui est au service de ceux qui <strong>la</strong> subissent ? La réponse ne<br />

<strong>la</strong>isse nulle p<strong>la</strong>ce au doute. Hé<strong>la</strong>s pour Mograbi, il se bat contre un État<br />

démocratique dont les citoyens approuvent les crimes à 90%. Dès lors,<br />

comment faire entendre sa voix ? Il semble que le combat soit, pour lui,<br />

per<strong>du</strong> d’avance. Z32 et l’accueil qu’il reçoit dans son pays comme dans le<br />

reste <strong>du</strong> monde semblent le vouer à<br />

l’impuissance. Pour Mograbi semble venu le<br />

temps de l’amertume, lui qui a toujours cherché<br />

à ne jamais distinguer révolte politique et<br />

création artistique. À <strong>la</strong> fin de Pour un seul de<br />

mes deux yeux, il se rend sur p<strong>la</strong>ce et met en<br />

scène sa colère et, déjà, son impuissance à faire<br />

changer les choses, à faire ouvrir <strong>la</strong> grille qui<br />

empêche les enfants palestiniens de rentrer<br />

chez eux après l’école. Avec Z32, il change de<br />

stratégie, continue d’une autre manière à se<br />

battre, mais l’ironie sardonique qui le caractérise<br />

est désormais teintée d’un certain lyrisme mé<strong>la</strong>ncolique (conféré par les<br />

chœurs et ses interrogations qu’il chante). Mé<strong>la</strong>ncolie liée à un certain<br />

découragement face à l’aggravation de <strong>la</strong> situation2 . Le ton désabusé<br />

Pour un seul de mes deux yeux<br />

1 À ce sujet, lire l’article <strong>du</strong> Monde Diplomatique : Edward W. Said, « Albert Camus, ou l’inconscient colonial », Le Monde<br />

Diplomatique, novembre 2000. Consulté en ligne. <br />

2 « Je n’ai aucun espoir. La majorité de mes concitoyens ont soutenu l’offensive sur Gaza comme s’ils étaient victimes<br />

de leur propre propagande. Israël ne cesse de se droitiser. Avec ces élections, ce processus atteint son paroxysme et les<br />

extrémistes vont con<strong>du</strong>ire le pays jusqu’au prochain bain de sang. Je ne suis absolument pas surpris, seulement triste. »<br />

Télérama n°3085.<br />

<strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009<br />

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