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2. Fiction : autoportrait en cocotte-minute<br />

Suleiman : After that I start to build tableau after tableau, like you pigment it, and when I<br />

feel that every tableau is weighty enough, is potentially multi<strong>la</strong>yered – it's something I feel, it's<br />

just a sense – then it becomes a scene. I do another one, and another. . . and then at a certain<br />

moment, I have all these scenes, like the cards like you saw in the film, and I start to do a kind of<br />

poetic montage. I discover the narrative as I go along. I do not preconceive a narrative, I cannot<br />

start by saying, "I'm going to make my next film about . . ." No, no. It's just from my daily notes,<br />

like a writer takes notes and then tells you afterward, in the re<strong>du</strong>ctive sense, what the story line<br />

is. What is Divine Intervention about? It's about a man who's losing his father, who is dying, and<br />

he's losing the woman, who's on the other side of the border. But it's not really about that, in fact. I<br />

mean I speak near the subject, I never really talk about it – I don't have that presumption . . . 4<br />

Le film raconte aussi une fiction, l'autofiction d'Elia Suleiman. Toutes les observations<br />

photographiques de <strong>la</strong> vie quotidienne en Palestine, toutes les saynètes burlesques saisies par<br />

l'œil d'Elia, relèvent de <strong>la</strong> description dans <strong>la</strong> mesure où il n'y a pas de capitalisation narrative,<br />

pas d'accumu<strong>la</strong>tion d'un suspens ou d'un enjeu. C'est sans doute schématique de dire ce<strong>la</strong>, car<br />

ces saynètes sont prises dans une structure qui les reprend, les répète, les varie, les ordonnant<br />

selon une logique qui contient déjà un discours. Un homme attend à un arrêt de bus, le voisin<br />

vient lui crier, l'air mécontent, que le bus ne passe plus ici, mais il ne bouge pas ; ce n'est<br />

qu'à <strong>la</strong> troisième répétion qu'on nous montre le contrechamp, <strong>la</strong> femme sur son balcon que<br />

l'homme attend désespérément. Au milieu de ces récits secondaires, il y a au premier p<strong>la</strong>n le<br />

récit principal, qui nous est narré en ellipses et pointillés, dans les marges de <strong>la</strong> description.<br />

Ce récit est celui, quasi-épique, <strong>du</strong> destin d'un « héros ». Le personnage de cinéaste muet joué<br />

par Suleiman est un personnage épique au sens où le héros keatonien l'était : personnage<br />

al<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> rencontre <strong>du</strong> monde et appelé à lutter contre l'univers déchaîné.<br />

D'un point de vue psychanalytique, le scénario de ce récit serait : <strong>la</strong> maniaco-dépression<br />

<strong>du</strong> prisonnier. Le prisonnier a per<strong>du</strong> l'espace, est enfermé dans le temps. La métaphysique est<br />

l'affaire <strong>du</strong> prisonnier. Son esprit joue avec les essences et les Idées, qui deviennent réelles par<br />

leur absolue absence. Le prisonnier n'a plus que le passé. Obligé de venir sans fin le repeupler,<br />

il investit son arbre généalogique, réinvente l'histoire de sa race et de sa tribu à <strong>la</strong> mesure de<br />

ce dernier temps qu'il incarne, celui de sa condamnation. Tout devait donc finir ainsi ; tout a<br />

déjà eu lieu. Ainsi dernier témoin de son peuple, il en est le dernier membre à disparaître. Mais<br />

bientôt il caresse le rêve de sa sortie, et devient alors, l'espace d'un rêve, le recommencement<br />

de l'histoire.<br />

Soit donc un cinéaste, Elia, vivant à Jérusalem-Est, dont le père ma<strong>la</strong>de vit à Nazareth, et<br />

<strong>la</strong> femme qu'il aime à Ramal<strong>la</strong>h. L'histoire se construit autour de ces coordonnées spatiales :<br />

le couple est séparé par une frontière matérialisée par le checkpoint. C'est une frontière qu'on<br />

4 « Dialogue with Khalil Rabah », Khalil Rabah catalogue, Gallerie Anadiel, 1998, p.25, Journal of Palestine Studies XUX, n° 2 (Winter 2000),<br />

pp. 95-101a.<br />

50 <strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009

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