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était difficile de comprendre le statut spécifique de ces images vidéo, qui sursignifierait <strong>la</strong> réalité<br />

par rapport à <strong>la</strong> scène de l’hippodrome.<br />

Il est vrai que ces images sont différentes des images d’animation, et par là-même elles<br />

possèdent un statut différent. On accepte spontanément leur lien irré<strong>du</strong>ctible à <strong>la</strong> réalité. Elles<br />

sont frappantes, elles choquent et bouleversent. Elles ont force de preuve. Elles témoignent de<br />

l’horreur <strong>du</strong> massacre.<br />

Folman n’utilise pas ces images dans un souci de probité. Il ne cherche pas à suppléer<br />

son absence de souvenirs par des images d’archives : le massacre et les corps sans vie sont<br />

également dessinés. Il ne s’est pas interdit de dessiner les événements traumatiques refoulés<br />

pour ne les représenter que par <strong>la</strong> mémoire publique et médiatique des images de presse. Ces<br />

images vidéo sont là en plus des dessins <strong>du</strong> massacre. Dans quel but ?<br />

Il serait bien naïf de penser que ces images d’archives, ou documentaires, sous-enten<strong>du</strong>es<br />

« réelles », auraient un pouvoir que n’auraient pas les images de fiction, d’animation. Et quel<br />

pouvoir, donc ? Que cherche Folman lorsqu’il clôt son film sur ces images ? Sans doute, à ébranler le<br />

spectateur, à le choquer, pour le faire penser, agir peut-être. Malheureusement, il lui fait en même<br />

temps ressentir une honte inhérente au statut de spectateur d’images d’atrocités : honte de ne<br />

pas vouloir regarder, honte de regarder, honte de sa propre impuissance. Honte de soi, de l’autre,<br />

de l’humanité elle-même. Ou seulement des milices pha<strong>la</strong>ngistes ? Que doit faire le spectateur<br />

de ces images ? C’est une question qui se pose à l’intérieur même d’un film dont le thème majeur<br />

est l’impossibilité à regarder l’horreur en face. Le jeune soldat se protège avec un appareil photo<br />

imaginaire. Folman oublie. Boaz cauchemarde. Ces systèmes de défense sont nécessaires car<br />

« l’horreur réelle nous est source d’impuissance », nous dit Georges Didi-Hubermann dans Images<br />

malgré tout à propos de <strong>la</strong> signification <strong>du</strong> mythe de <strong>la</strong> Mé<strong>du</strong>se. Regarder l’horreur réelle en<br />

face – et les images d’archives, et documentaires, gardent une trace de cette réalité – mé<strong>du</strong>se et<br />

paralyse, rend impuissant et démuni. Au contraire, mettre entre soi et cette réalité insoutenable<br />

un bouclier, de quelque sorte qu’il soit, un appareil enregistreur, un écran dans sa mémoire, une<br />

distance fictionnelle, permet de sortir de cette situation d’impuissance pour pouvoir penser<br />

l’horreur, l’atroce, <strong>la</strong> guerre, tout ce que l’on nous présente parfois comme étant impensable,<br />

imprésentable. L’image peut être ainsi source de connaissance, selon Didi-Hubermann, mais<br />

à condition « que l’on engage sa responsabilité dans le dispositif formel de l’image pro<strong>du</strong>ite » 13 .<br />

Ce que Folman ne fait pas concernant les images vidéo de <strong>la</strong> fin de son film. Il utilise ces<br />

images sans ouvrir aucune perspective à <strong>la</strong> pensée et à <strong>la</strong> compréhension. En accordant à<br />

cette représentation <strong>du</strong> massacre un statut différent, il intro<strong>du</strong>it l’idée d’une objectivité de<br />

ces images. N’étant pas pro<strong>du</strong>ites par lui, n’étant pro<strong>du</strong>ites par personne d’identifiable, elles<br />

seraient neutres, et attesteraient objectivement de l’horreur. Elles sont souvent présentées<br />

comme documentaires, mais il me semble évident que nous sommes en présence d’images<br />

d’archives, de presse, qui ne sont documentaires qu’au sens non <strong>cinéma</strong>tographique <strong>du</strong><br />

terme. Ni <strong>la</strong> démarche de Folman lors de <strong>la</strong> construction <strong>du</strong> film (interviews et recherches<br />

d’anciens soldats), ni ces images ne sauraient faire de Valse avec Bachir un film documentaire,<br />

c’est-à-dire un film témoignant d’une démarche <strong>cinéma</strong>tographique directement aux prises<br />

avec <strong>la</strong> réalité.<br />

Si ce film n’est pas un documentaire, il ne trouble pas non plus le partage fiction<br />

documentaire en mê<strong>la</strong>nt des images d’archives à l’animation. Il s’inscrit dans une opposition<br />

bien plus grave encore que celle <strong>du</strong> documentaire et de <strong>la</strong> fiction, bien qu’elles ne soient pas<br />

étrangères l’une à l’autre. Si Apocalypse Now « remonte le fleuve de <strong>la</strong> civilisation à <strong>la</strong> barbarie,<br />

13 Didi-Huberman, Georges. Images malgré tout. Paris : Éditions de Minuit, 2003, 221.<br />

38 <strong>Spectres</strong> <strong>du</strong> Cinéma #3 Été 2009

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