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privé de tout ce<strong>la</strong>. Le crime qu’il avait arrangé avait avorté sous ses yeux.<br />
Pourtant, il ne tarde pas à voir ce qu’on pourrait appeler une compensation, une façon de<br />
se rattraper. Et il se met à faire certaines insinuations. Quelques jours plus tôt, il avait feint<br />
d’apercevoir quelque chose d’inhabituel à travers ses jumelles. Il avait alors l’intention de<br />
<strong>la</strong>isser supposer qu’il avait aperçu Allerton et Judith dans une attitude compromettante. Mais,<br />
n’ayant rien précisé, il peut ensuite utiliser cet incident d’une façon différente. Supposez, par<br />
exemple, qu’il déc<strong>la</strong>re avoir vu Franklin en compagnie de Judith. Ce<strong>la</strong> mettra en évidence un<br />
autre aspect – fort intéressant – de <strong>la</strong> mort de Barbara. Ce<strong>la</strong> pourra même jeter des doutes<br />
sur <strong>la</strong> réalité du suicide.<br />
C’est pourquoi, mon ami, j’ai résolu d’agir sans dé<strong>la</strong>i et vous ai demandé de m’amener<br />
Norton ce soir-là.<br />
Je vais maintenant vous conter ce qui s’est passé exactement. Norton aurait sans nul<br />
doute été ravi de me débiter sa petite histoire arrangée selon son goût. Je ne lui en ai pas<br />
<strong>la</strong>issé le temps. Je lui ai dit aussitôt, c<strong>la</strong>irement et avec précision, tout ce que je savais de lui<br />
et de ses agissements. Il n’a rien nié. Il est resté calmement assis dans son fauteuil en<br />
souriant d’un air suffisant. Oui, mon cher, en souriant. Il m’a ensuite demandé ce que je<br />
comptais faire ? Je lui ai répondu du tac au tac que je me proposais de l’exécuter.<br />
— Ah ! s’est-il écrié. L’épée ou <strong>la</strong> coupe de poison ?<br />
À ce moment-là, nous étions sur le point de boire une tasse de choco<strong>la</strong>t. Car il ne<br />
détestait pas les douceurs, Mr. Norton.<br />
— Le plus simple, lui ai-je répondu, serait <strong>la</strong> coupe de poison, évidemment.<br />
Et je lui ai tendu <strong>la</strong> tasse de choco<strong>la</strong>t que je venais de remplir.<br />
— Dans ce cas, est-ce que ça vous ennuierait que je prenne votre tasse au lieu de <strong>la</strong><br />
mienne ? m’a-t-il demandé.<br />
— Pas le moins du monde, lui ai-je répondu.<br />
C’était, en effet, sans aucune importance. Ainsi que je vous l’ai déjà dit, j’use, moi aussi,<br />
de comprimés de somnifère. Seulement, comme j’en prends tous les soirs depuis fort<br />
longtemps, mon organisme a acquis une certaine accoutumance ; et une dose capable<br />
d’endormir Norton ne pouvait avoir que peu d’effet sur moi. La drogue se trouvait dans le pot<br />
de choco<strong>la</strong>t, et nous en avons absorbé tous les deux. Celle de Norton a agi en temps voulu ;<br />
<strong>la</strong> mienne, très peu, d’autant que je l’ai neutralisée par une dose de mon tonique à <strong>la</strong><br />
strychnine.<br />
Et nous voici parvenus au dernier chapitre. Norton endormi, je l’ai p<strong>la</strong>cé dans mon<br />
fauteuil, que j’ai roulé jusque dans l’embrasure de <strong>la</strong> fenêtre, à son endroit habituel derrière<br />
les doubles rideaux. Curtiss est ensuite venu me mettre au lit. Quand tout a été calme, je me<br />
suis relevé et ai roulé Norton jusque dans sa chambre. Il ne me restait plus qu’à pr<strong>of</strong>iter des<br />
yeux et des oreilles de mon excellent ami Hastings.<br />
Vous ne vous en êtes peut-être pas aperçu, mais je porte une perruque depuis plusieurs<br />
années. Et vous vous êtes encore moins rendu compte, j’en suis certain, que ma moustache<br />
est également fausse. (George lui-même ignore ce dernier détail). En effet, j’ai feint de <strong>la</strong><br />
brûler accidentellement peu après l’arrivée de Curtiss, et j’en ai fait exécuter une réplique<br />
exacte par mon coiffeur.<br />
J’ai donc endossé <strong>la</strong> robe de chambre très caractéristique de Norton, j’ai ébouriffé mes<br />
cheveux comme il avait l’habitude de le faire, et j’ai longé le couloir pour aller frapper à votre<br />
porte. Ainsi que je m’y attendais, vous êtes bientôt apparu sur le seuil, les yeux bouffis de