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sépare.<br />
Norton fit entendre un petit rire.<br />
— Une séparation qui est parfois <strong>la</strong> bienvenue.<br />
— Mon cher, répliqua Boyd Carrington, vous ne pouvez guère parler de <strong>la</strong> question, étant<br />
donné que vous n’avez jamais été marié.<br />
Norton hocha <strong>la</strong> tête.<br />
— C’est vrai. Et maintenant, il est trop tard.<br />
Boyd Carrington lui décocha un coup d’œil railleur.<br />
— En êtes-vous bien sûr ?<br />
Au même moment, Elizabeth Cole nous rejoignit. Fut-ce un effet de mon imagination, ou<br />
bien le regard de Boyd Carrington al<strong>la</strong>-t-il vraiment du visage de Norton à celui de <strong>la</strong> jeune<br />
femme ? Une idée nouvelle se mit aussitôt à me trotter par <strong>la</strong> tête, et j’observai Miss Cole<br />
avec plus d’attention. Elle était encore re<strong>la</strong>tivement jeune et, d’autre part, fort jolie. En fait,<br />
c’était, à mon avis, une personne ravissante et sympathique, su<strong>sce</strong>ptible de faire le bonheur<br />
d’un homme. Je me rappe<strong>la</strong>i que Norton et elle avaient passé pas mal de temps ensemble,<br />
au cours de ces derniers jours. Leurs promenades à <strong>la</strong> recherche d’oiseaux et de fleurs<br />
sauvages leur avaient permis de se lier d’amitié, et je me souvins que Miss Cole m’avait parlé<br />
de Norton en termes élogieux.<br />
Ma foi, si les choses étaient ainsi, je m’en réjouissais pour elle. Sa jeunesse triste et<br />
morne ne ferait pas obstacle à son bonheur futur, et le drame qui avait brisé sa vie n’aurait<br />
pas été absolument vain. Et, comme je continuais à <strong>la</strong> regarder, il me semb<strong>la</strong> qu’elle avait<br />
l’air plus gaie et plus heureuse que lorsque je l’avais vue pour <strong>la</strong> première fois, le jour de<br />
mon arrivée. Elizabeth Cole et Norton ? Oui, pourquoi pas ?<br />
Puis, à l’improviste, je me sentis assailli par un vague sentiment de ma<strong>la</strong>ise et<br />
d’inquiétude. Il n’était pas bon, il n’était pas prudent de faire ici des projets de bonheur. Il y<br />
avait, dans l’atmosphère de Styles, quelque chose de malsain qui m’étais encore plus<br />
sensible à cette minute. Je me sentais soudain vieilli et fatigué. Effrayé, aussi.<br />
L’instant d’après, pourtant, cette impression s’était évanouie. Et personne, je crois, n’avait<br />
remarqué mon trouble. Hormis, sans doute, Boyd Carrington qui, quelques minutes plus tard,<br />
s’approcha de moi pour me demander :<br />
— Quelque chose qui ne va pas, Hastings ?<br />
— Non, répondis-je d’un ton que je vou<strong>la</strong>is désinvolte. Pourquoi cette question ?<br />
— Mon Dieu, vous aviez l’air… je ne sais comment m’expliquer.<br />
— Bah ! Peut-être une sorte de… d’appréhension.<br />
— Un pressentiment ?<br />
— Si vous voulez. L’impression, en tout cas, qu’il va se passer quelque chose.<br />
— Curieux. J’ai éprouvé ça, moi aussi, à deux ou trois reprises. Mais… que pourrait-il bien<br />
se passer ?<br />
Il scrutait attentivement mon visage, comme s’il comptait y lire une réponse à sa<br />
question. Je me contentai de hocher <strong>la</strong> tête. Car, à <strong>la</strong> vérité, mon pressentiment n’était étayé<br />
par rien de précis. Il n’était probablement que le résultat de cette vague de dépression et de<br />
crainte qui me submergeait de temps à autre.<br />
Judith sortit de <strong>la</strong> maison à pas lents, <strong>la</strong> tête haute, les lèvres serrées, l’air grave. Comme<br />
elle ressemb<strong>la</strong>it peu à sa mère et à moi ! Elle faisait penser à une jeune prêtresse. Norton<br />
dut aussi avoir cette idée, car il leva les yeux vers elle et lui dit :