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surprenant après ses confidences de l’après-midi. J’étais d’ailleurs moi-même un peu ennuyé,<br />
et j’espérais qu’elle ne regrettait pas trop de m’avoir parlé. J’aurais aimé lui affirmer que je<br />
respectais son secret et n’en ferais part à personne. Mais elle ne m’en fournit pas l’occasion.<br />
Au bout d’un moment, je montai à nouveau chez <strong>Poirot</strong>. J’y trouvai Luttrell, assis au milieu<br />
du petit cercle de lumière que projetait l’unique <strong>la</strong>mpadaire allumé dans <strong>la</strong> chambre. <strong>Poirot</strong><br />
l’écoutait avec attention, mais j’eus l’impression que le colonel se par<strong>la</strong>it à lui-même plus<br />
qu’il ne s’adressait à son interlocuteur.<br />
— Je me rappelle bien… Oui, c’était à un bal. Elle portait une robe b<strong>la</strong>nche – en tulle, je<br />
crois –, qui flottait autour d’elle. C’était une jolie fille, vous savez. Et j’ai été aussitôt conquis.<br />
Ce soir-là, je me suis dit en rentrant chez moi : « C’est elle que j’épouserai. » Et je l’ai fait.<br />
Elle était charmante, avec ses manières espiègles et sa légère impertinence.<br />
Il étouffa un petit rire.<br />
— Et elle m’a toujours tenu tête.<br />
J’imaginais aisément Daisy Luttrell au début de son mariage, avec son jeune visage<br />
effronté et sa <strong>la</strong>ngue alerte. Certes, elle devait être charmante, à cette époque ; mais bien<br />
faite pour se transformer, avec les années, en une authentique mégère. Ce soir, cependant,<br />
c’était à cette jeune femme d’autrefois, à son premier véritable amour que songeait avec<br />
émotion le vieux colonel.<br />
À nouveau, j’éprouvai un sentiment de honte à <strong>la</strong> pensée de ce que nous avions osé<br />
envisager quelques heures plus tôt. Et lorsque Luttrell se fut retiré, je débitai toute l’histoire<br />
à <strong>Poirot</strong>. Il m’écouta sans m’interrompre, le visage impassible.<br />
— Vous avez donc pensé, dit-il lorsque j’eus terminé, que le coup de feu avait été tiré à<br />
dessein sur Mrs. Luttrell.<br />
— Je l’avoue. Maintenant, j’ai honte, mais sur le moment…<br />
<strong>Poirot</strong> ba<strong>la</strong>ya mes scrupules d’un geste vague de <strong>la</strong> main.<br />
— Cette pensée vous est-elle venue spontanément, ou bien quelqu’un vous l’a-t-il<br />
suggérée ?<br />
— Allerton avait dit quelque chose dans ce sens, marmonnai-je. Pas étonnant de sa part,<br />
évidemment.<br />
— Personne d’autre ?<br />
— Boyd Carrington a, lui aussi, envisagé l’hypothèse.<br />
— Ah ! Boyd Carrington.<br />
— C’est un homme qui connaît <strong>la</strong> vie et qui a de l’expérience.<br />
— Bien sûr, bien sûr. Mais il n’a pas assisté à l’accident, n’est-ce pas ?<br />
— Non. Il était allé faire un tour avant de se changer pour le dîner.<br />
— Je comprends.<br />
— Je ne pense pas, repris-je d’un air gêné, qu’il ait envisagé sérieusement cette<br />
hypothèse. C’était seulement…<br />
<strong>Poirot</strong> m’interrompit.<br />
— Inutile d’avoir des remords en ce qui concerne vos soupçons, Hastings. Étant donné les<br />
circonstances, cette idée pouvait venir à n’importe qui. C’était tout à fait naturel.<br />
Il y avait quelque chose dans son attitude – une certaine réserve, peut-être – que je ne<br />
comprenais pas très bien, et ses yeux m’observaient avec une expression bizarre.<br />
— Sans doute répondis-je. Mais quand je vois maintenant à quel point Luttrell est dévoué<br />
à sa femme…