Suicide chez les Autochtones au Canada - Fondation autochtone de ...
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Chapitre 6<br />
1992). En conséquence, la perspective d’ordre psychiatrique clinique centre uniquement l’attention sur<br />
l’i<strong>de</strong>ntification et le traitement <strong>de</strong>s personnes qui sont dans le moment en détresse et à risque imminent <strong>de</strong><br />
suici<strong>de</strong>. Jusqu’à ce jour, <strong>les</strong> <strong>Autochtones</strong> vivant dans différentes parties du pays n’ont pas encore obtenu un<br />
accès adéquat à tout l’éventail <strong>de</strong>s services offerts en santé mentale (Groupe consultatif sur la prévention<br />
du suici<strong>de</strong>, 2003). La prestation <strong>de</strong> services soci<strong>au</strong>x cliniques efficaces permettra certainement <strong>de</strong> diminuer<br />
le t<strong>au</strong>x <strong>de</strong> suici<strong>de</strong>. Établir un lien entre le suici<strong>de</strong> et <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> psychiatriques a été recommandé comme<br />
stratégie <strong>de</strong> prévention, non seulement parce qu’ainsi on encourage la recherche d’ai<strong>de</strong>, mais <strong>au</strong>ssi parce<br />
qu’on renforce la stigmatisation du suici<strong>de</strong>, contribuant par le fait même à rendre ce comportement moins<br />
acceptable (American Aca<strong>de</strong>my of Child and Ado<strong>les</strong>cent Psychiatry, 2001b).<br />
Cependant, un <strong>au</strong>tre argument peut être valablement invoqué : compte tenu <strong>de</strong> l’ampleur <strong>de</strong>s problèmes<br />
soci<strong>au</strong>x qu’affrontent <strong>les</strong> <strong>Autochtones</strong> <strong>au</strong> <strong>Canada</strong>, considérer le suici<strong>de</strong> strictement comme l’aboutissement<br />
d’un trouble psychiatrique n’est pas seulement une perspective inachevée ou fragmentaire, mais, en fait, ce<br />
point <strong>de</strong> vue peut aggraver la situation (Kirmayer, 1994; Tester et McNicoll, 2004). L’explication liée à <strong>de</strong>s<br />
c<strong>au</strong>ses psychiatriques est stigmatisante et, par le fait même, elle renforce <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> marginalisation,<br />
<strong>de</strong> dépréciation et d’impuissance qui contribuent <strong>au</strong> suici<strong>de</strong>. L’approche psychiatrique centre directement<br />
l’attention sur l’état psychologique d’une personne, plutôt que sur <strong>de</strong>s problèmes soci<strong>au</strong>x fondament<strong>au</strong>x<br />
qui nécessitent un redressement, <strong>de</strong>s mesures correctives. Par ailleurs, on ne peut pas non plus substituer<br />
l’étiquette <strong>de</strong> « psychiatrique » attribuée dans un cas particulier pour l’accoler à une collectivité. En effet,<br />
mettre une étiquette sur <strong>de</strong>s commun<strong>au</strong>tés entières en <strong>les</strong> caractérisant <strong>de</strong> « mala<strong>de</strong>s » est une expression<br />
métaphorique qui peut contribuer à une démoralisation profon<strong>de</strong> et qui évite d’avoir à se pencher sur <strong>les</strong><br />
problèmes soci<strong>au</strong>x et politiques. En conscientisant à la gravité du problème, c’est en fait forcer l’attention<br />
du public et du gouvernement et faire en sorte que le suici<strong>de</strong> est alors perçu comme une problématique<br />
puissante, socialement pertinente, à soulever dans <strong>les</strong> débats politiques. Par contre, le fait d’en faire une<br />
préoccupation centrale peut tout simplement servir à légitimer le suici<strong>de</strong> comme une forme <strong>de</strong> protestation<br />
et, <strong>de</strong> là, sans l’avoir recherché, accroître sa prévalence. Il f<strong>au</strong>t trouver un moyen d’abor<strong>de</strong>r le suici<strong>de</strong> comme<br />
l’aboutissement <strong>de</strong> conditions socia<strong>les</strong> déplorab<strong>les</strong> sans justifier ce geste suicidaire en laissant entrevoir qu’il<br />
peut agir comme riposte « sensée » ou même comme mesure efficace <strong>de</strong> protestation politique. Le rapport<br />
du Groupe consultatif sur la prévention du suici<strong>de</strong> (2003) a reconnu ce dilemme en <strong>de</strong>mandant que le<br />
suici<strong>de</strong> soit dépolitisé, alors que <strong>les</strong> jeunes doivent être politisés, c’est-à-dire que le rapport recomman<strong>de</strong><br />
d’éviter <strong>de</strong> se servir du problème du suici<strong>de</strong> pour réaliser <strong>de</strong>s objectifs politiques, tout en encourageant <strong>les</strong><br />
jeunes à jouer un rôle actif dans le façonnement <strong>de</strong> leur avenir.<br />
Bien entendu, <strong>les</strong> actions et l’expérience <strong>de</strong> vie, <strong>les</strong> épreuves, d’une personne ne doivent pas s’expliquer<br />
complètement par <strong>de</strong>s raisons d’ordre social. Même dans <strong>les</strong> pires conditions socia<strong>les</strong> et dans <strong>les</strong> situations<br />
<strong>les</strong> plus désespérées, il n’y a qu’un petit nombre <strong>de</strong> personnes qui tentent <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r. Par conséquent, il f<strong>au</strong>t<br />
bien comprendre quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> particularités ou <strong>les</strong> caractères spécifiques qui <strong>au</strong>gmentent la vulnérabilité<br />
<strong>chez</strong> une personne ou, si on envisage cette problématique sous un <strong>au</strong>tre angle, <strong>les</strong> qualités qui confèrent<br />
une plus gran<strong>de</strong> résilience <strong>chez</strong> ces personnes ne faisant pas <strong>de</strong> tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong>. Même accablés par une<br />
dépression grave, bon nombre <strong>de</strong> gens ne font pas <strong>de</strong> tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong>. Cette résistance empêchant <strong>de</strong> se<br />
livrer <strong>au</strong> désespoir dans l’adversité personnelle et collective, indépendamment <strong>de</strong> tout <strong>au</strong>tre aspect, mérite<br />
qu’on s’y attar<strong>de</strong>.<br />
À bien <strong>de</strong>s égards, <strong>les</strong> perspectives multip<strong>les</strong> d’ordre psychiatrique et sociologique sont complémentaires,<br />
plutôt que contradictoires. Le conflit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cultures, suivi <strong>de</strong> l’anéantissement <strong>de</strong> l’une en raison <strong>de</strong> la<br />
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