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BULETIN ğTIIN IFIC - Universitatea George Bacovia

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Ontos et logos dans une page de „La Peste“ de Camus 105<br />

victoire du rocher”. “Mais [si] les vérités écrasantes périssent d’être reconnues”, 1 seules la<br />

vigilance et la lucidité sont la prophylaxie du mal, tandis que la révolte solidaire en est la<br />

thérapeutique. La première évidence que la catastrophe apporte est que “cette histoire nous<br />

concerne tous”. Telle est d’ailleurs la leçon qu’on tire du texte de la quatrième partie du<br />

roman-chronique de Camus. Si Rieux, par son métier et par conviction, et Tarrou, par<br />

principe, s’engagent dans l’action combattive, Rambert, le journaliste parisien arrivé à Oran<br />

pour y faire un reportage, emploie tous les moyens pour s’en évader et rejoindre sa bien<br />

aimée. Son trajet, du Nord continental (Paris) vers le Sud maritime (Oran), équivaut à une<br />

descensus ad inferos. Il se voit éloigné de son moi, ce qui est associé à une perte, à une<br />

diminution au cours de cette catabase. 2 Et pourtant, la descente s’avère nécessaire prenant<br />

des allures de trajet initiatique pour mieux accomplir son parcours anagogique. Au début<br />

d’octobre, une chance d’évasion s’offre au journaliste. Le jour fixé il se rend à l’hôpital et<br />

demande à Tarrou de le conduire auprès de Rieux et c’est au cours de cette visite que<br />

Rambert annoce sa décision de ne plus quitter la ville pestiférée.<br />

Les événements sont racontés par un narrateur situé en dehors de l’histoire, semblet-il,<br />

ce qui en fait l’objectivité et l’allure de chronique. Ce ne sera qu’en fin de roman que le<br />

narrateur quitte l’anonymat et se dévoile dans la personne du docteur Rieux. Ce système<br />

cryptographique ne vise pas à piquer la curiosité du lecteur, il répond au souci délicat de<br />

réduire la part des éléments personnels dans un témoignage qui reste cependant direct.<br />

Camus réussit à “donner une voix au Nous”, à ne pas tomber dans le “On” car “le véritable<br />

héros de ces pages n’est pas le moi, mais le nous élevé à la dignité de l’être particulier”.<br />

(Rachel Bespaloff, Esprit, janvier 1950, article intitulé Le monde du condamné à mort)<br />

Dans le texte étudié, la vision “du dehors” cède la place à la vision “par derrière”: une<br />

fois pour communiquer l’état de malaise de Rambert dans la salle d’hôpital, et une<br />

seconde fois pour enregistrer brièvement l’épuisement du docteur: ”Rieux semblait<br />

incapable d’émerger de sa fatigue”. (La Peste, p. 89)<br />

Rien de nouveau et pourtant on y perçoit “un geste moderne”, celui par lequel “le<br />

texte domine le sens”. Son tissu privilégie la scène, préparée par la description du décor,<br />

les répliques du dialogue étant séparées (ou réunies) par des silences réflexifs (pour les<br />

locuteurs comme pour le lecteur), par de brèves descriptions (“chaque fois que l’un d’eux<br />

parlait, le masque de gaze se gonflait et s’humidifiait à l’endroit de la bouche’) ou par des<br />

sommaires (“Le silence dura longtemps”) Certains brefs commentaires, entrecroisant le<br />

dialogue, ont l’air des didascalies, indications scéniques ou enregistrenments des états de<br />

Rieux: épuisement accompagné d’une “voix sourde”; redressement et “voix ferme”; effort<br />

de soulèvement; abandon sur son coussin. Cette courbe de l’effort physique et psychique<br />

du docteur semble tracer les moments du combat avec le mal.<br />

Il faut parler mais pour “se mettre sur le bon chemin” (La Peste, p.113) sa parole doit<br />

être claire. Et en effet, ces prises de parole sont en fait des prises de position.<br />

Discours direct et discours indirect alternent presque tout le long du dialogue afin<br />

peut-être d’éviter la monotonie textuelle ou pour limiter le subjectivisme et glisser un<br />

souffle de doute dans les interstices de la liberté de pensée et d’expression du locuteur.<br />

La substitution de la personne subjective “je” par la non-personne “il” 3 et l’introduction du<br />

subordonnant “que”, traits du discours indirect, suggèrent l’impossibilité des trois<br />

personnages de secouer l’oppression du mal. Même en s’en éloignant spatialement<br />

(substitution de la salle d’hôpital par l’espace fermé de la voiture du docteur), celui-ci<br />

continue de les guetter subversivement. À mesure que la distance s’accroît,<br />

l’indépendance discursive s’affermit, vu l’impératif du témoignage de la solidarité mais<br />

aussi parce que l’action se fait pressante et la décision imminente.<br />

<br />

<br />

<br />

1 Camus, Albert (1967): La peste, Gallimard, p.164.<br />

2 Anabase / catabase, termes utilisés par Francis Pruner (1977) dans son livre L’ésotérisme de Saint-John<br />

Perse, Klinksiek, p. 32.<br />

3 Adam, Jean-Michel et Goldenstein, Jean-Pierre (1976): Linguistique et discours littéraire, Larousse, p.42.

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