INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
100<br />
Il peut sembler curieux que Furet attribue cette idée à Tocqueville, alors qu'elle<br />
constitue en fait un leitmotiv de l'historiographie contre-révolutionnaire dès les années<br />
1790 ; c'est même à cette dernière qu'Auguste Comte l'empruntera, pour la mettre au<br />
service de son républicanisme sui generis 186 . Dans tout ce courant, on retrouve cette idée<br />
nodale : il faut neutraliser ce qu'il y a de « révolutionnaire » dans l'événement, pour<br />
pouvoir faire enfin une historiographie rigoureuse de l'événement révolutionnaire...<br />
Mais Furet est ici l'héritier hétérodoxe d'un autre héritage plus récent, plus précisément<br />
ancré dans les débats historiographiques de l'entre-deux-guerres où, au-delà du seul<br />
événement révolutionnaire, fut mise en question la catégorie d'événement comme telle :<br />
ce fut tout particulièrement l'oeuvre de l'important courant de « l'histoire sociale » au<br />
sein de l'Ecole des Annales, sur laquelle il faut à présent revenir. Nous verrons alors que<br />
les enjeux critiques de la notion d'événement historique, ne se réduisent nullement à<br />
l'alternative binaire continuité/discontinuité – ou à l'alternative entre la saine rationalité<br />
historiographique restituant les continuités temporelles, et la représentation idéologique<br />
des avènements absolus faisant illusoirement rupture dans la continuité de l'histoire –,<br />
mais qu'ils touchent plus profondément la conception du temps historique lui-même, et<br />
de sa multiplicité ou complexité interne.<br />
2) Déqualification et requalification de l'événement dans l'historiographie<br />
française du XXe siècle : événement, structure, série<br />
2.1. La critique de l'Ecole des Annales – Désévenementialisation et pluralisation<br />
des temps de l'histoire (F. Braudel)<br />
La critique de la catégorie historiographique d'événement par les contributeurs<br />
de la revue des Annales d'histoire économique et sociale 187 fut souvent considérée<br />
comme l'une des plus radicales, donc aussi l'une des plus révélatrices quant aux enjeux<br />
des dissensions suscitées par cette catégorie, et des plus éclairantes quant à certains de<br />
ses présupposés traditionnels. On a pu souligner cependant que les historiens de l'Ecole<br />
des Annales n'avaient pas pour autant renoncé purement et simplement, ni à faire usage<br />
de la catégorie d'événement dans leurs productions historigraphiques, ni à réfléchir au<br />
concept d'événement comme tel, quitte à en redéfinir l'opérativité et les fonctions. Pour<br />
cerner alors ce qui est en jeu dans cette critique adressée à la place accordée en histoire<br />
au concept d'événement, il convient de la replacer dans son contexte.<br />
De fait, cette critique ne vise pas la catégorie d'événement en général, mais plus<br />
précisément l'usage qui en fut fait dans le courant historiographique qui avait dominé la<br />
discipline historienne sous la IIIe République, et bien plus, qui en avait réalisé<br />
186 On pourra consulter sur ce point : a/ P. MACHEREY, « Le positivisme entre la révolution et la contrerévolution<br />
: Comte et Maistre », in Revue de synthèse 4ème série n°1, janvier-mars 1991 p. 41-47 (texte<br />
accessible en ligne) ; b/ G. SIBERTIN-BLANC, « Révolution et contre-révolution : la temporalité dans<br />
l'analyse de conjoncture (Burke, Comte, Marx) », in Cahiers du GRM, n° 1, hiver 2010-2011 (revue en<br />
ligne).<br />
187 On y compte de nombreux d'historiens illustres, de générations différentes avant et après la seconde<br />
guerre mondiale, et au premier chef Lucien FEBVRE et Marc BLOCH, dont nous avons déjà parlé, – les<br />
deux fondateurs de la revue Les Annales d'histoire économie et sociale en 1929 – puis Fernand<br />
BRAUDEL, dont il sera plus spécifiquement question ici. Pour une vue synthétique sur ce courant majeur<br />
de l'historiographie française du XXe siècle, on pourra consulter G. BOURDE et H. MARTIN, Les<br />
Ecoles historiques, op. cit., chap. 9 et 10, p. 215-270.