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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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même, de ses conditions d'émergence, et de ses transformations ultérieures, Foucault en<br />

dégage à titre préliminaire quelques caractéristiques générales :<br />

Premièrement, c'est un discours qui n'oppose pas le pouvoir politique à<br />

l'affrontement et à la guerre, comme le faisaient traditionnellement les discours<br />

juridique et philosophique. Pour le dire schématiquement, ces derniers voyaient dans le<br />

pouvoir politique ce qui met fin à l'affrontement, ce qui s'instaure lui-même en<br />

suspendant la guerre et en établissant les institutions juridiques et politiques garantes de<br />

la paix et de l'ordre social. Le discours historico-politique qu'évoque Foucault<br />

s'articulera au contraire sur l'idée que « l'organisation, la structure juridique du pouvoir,<br />

des Etats, des monarchies, des sociétés n'a pas son principe là où cesse le bruit des<br />

armes », mais au contraire ne cesse d'être traversée par lui. Non seulement « la loi naît<br />

des batailles réelles, des victoires, des massacres, des conquêtes qui ont leur date et leur<br />

héros d'horreur », mais plus profondément, ces affrontements ne laissent d'être à<br />

l'oeuvre, fût-ce de façon masquée, silencieuse ou latente, au coeur de « tous les<br />

mécanismes de pouvoir, même les plus réguliers. C'est la guerre qui est le moteur des<br />

institutions et de l'ordre : la paix, dans le moindre de ses rouages, fait sourdement la<br />

guerre ». Et le savoir historique aura précisément cette fonction, de déchiffrer, décrypter<br />

cette guerre permanente sous la paix, de mettre au jour, en en éclairant la genèse, les<br />

sources et les péripéties passées, ces affrontements qui traversent continûment le corps<br />

social, son Etat et ses institutions, et qui les divisent en eux-mêmes. Mais en retour, ce<br />

savoir historique sera nécessairement situé, inscrit et positionné par rapport à cette<br />

division fondamentale. Il ne pourra prendre pour objet les jeux du pouvoir qu'en étant<br />

lui-même inscrit en eux, qu'en étant donc pris et partie prenante dans ces affrontements :<br />

A partir de là, on peut comprendre pourquoi [ce discours] est important : parce qu'il est, me<br />

semble-t-il, le premier discours dans la société occidentale depuis le Moyen Âge que l'on peut<br />

dire rigoureusement historico-politique. D'abord à cause de ceci : le sujet qui parle en ce<br />

discours, qui dit « je » ou qui dit « nous », ne peut pas, et ne cherche d'ailleurs pas à occuper la<br />

position du juriste ou du philosophe, c'est-à-dire la position du sujet universel, totalisant ou<br />

neutre. Dans cette lutte générale dont il parle, celui qui parle, celui qui dit la vérité, celui qui<br />

raconte l'histoire, celui qui retrouve la mémoire et conjure les oublis, eh bien, celui-là, il est<br />

forcément d'un côté ou de l'autre : il est dans la bataille, il a des adversaires, il travaille pour une<br />

victoire particulière. Bien sûr, il tient le discours du droit, il fait valoir le droit, il le réclame.<br />

Mais ce qu'il réclame et ce qu'il fait valoir, ce sont « ses » droits – « c'est nos droits », dit-il :<br />

droits singuliers, fortement marqués par un rapport de propriété, de conquête, de victoire, de<br />

nature. Ce sera le droit de sa famille ou de sa race, le droit de sa supériorité ou le droit de<br />

l'antériorité, le droit des invasions triomphantes ou le droit des occupations millénaires. De toute<br />

façon, c'est un droit à la fois ancré dans une histoire et décentré par rapport à une universalité<br />

juridique. […] On a un discours historique et politique – et c'est en ceci qu'il est historiquement<br />

ancré et politiquement décentré – qui prétend à la vérité et au bon droit, à partir d'un rapport de<br />

force, pour le développement même de ce rapport de force, en excluant, par conséquent, le sujet<br />

qui parle – le sujet qui parle du droit et qui cherche la vérité – de l'universalité juridicophilosophique.<br />

Le rôle de celui qui parle, ce n'est donc pas le rôle du législateur ou du<br />

philosophe, entre les camps, personnage de la paix et de l'armistice, en cette position qu'avaient<br />

rêvée déjà Solon et encore Kant. S'établir entre les adversaires, au centre et au-dessus, imposer<br />

une loi générale à chacun et fonder un ordre qui réconcilie : ce n'est pas de tout cela qu'il s'agit. Il<br />

s'agit, plutôt, de poser un droit frappé de dissymétrie, de fonder une vérité liée à un rapport de<br />

force, une vérité-arme et un droit singulier. Le sujet qui parle est un sujet – je ne dirai même pas<br />

polémique – guerroyant. C'est là un des premiers points par lesquels ce type-là de discours est<br />

important, et introduit une déchirure sans doute dans le discours de la vérité et de la loi tel qu'il<br />

était tenu depuis des millénaires, depuis plus d'un millénaire. 81<br />

81 Ibid., p. 44-46.

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