INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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106<br />
de l'historien).<br />
Michel FOUCAULT en a fait l'observation détaillée dans un article de 1970<br />
intitulé « Revenir à l’histoire » 204 , où, à rebours des antiennes sur le structuralisme<br />
souvent critiqué pour avoir nié la temporalité des changements et des mutations<br />
diachroniques, il montre au contraire la façon dont l'historiographie renouvelée par les<br />
procédés structuralistes a conduit à replacer au centre de l'épistémologie des sciences<br />
sociales les concepts de changement et d'événement.<br />
Ce renouvellement épistémologique, qui déplace le concept d'événement mais<br />
ne l'abolit pas, s'inscrit d'abord à ses yeux dans le cadre d'un déplacement théorique et<br />
idéologique plus large, affranchissant la méthodologie historienne contemporaine des<br />
présupposés généraux qui grevaient l'historiographie du XIXe siècle. Cette dernière était<br />
profondément inscrite dans la lutte idéologique d'une nouvelle classe sociale en plein<br />
essor, qui devait chercher à « fond[er] son droit à occuper le pouvoir ». Pour ce faire,<br />
elle appelait, à l'instar de Michelet, à « la tâche de rendre vivante la totalité du passé<br />
national », soulignait par suite les continuités historiques, cherchait à montrer le patient<br />
essor, à travers l'obscurité des siècles, d'une entité transcendante donnée de tout temps<br />
(la Nation éternelle, le Peuple, la République, etc.). Dans ce contexte idéologicopolitique,<br />
résume Foucault en reprenant ici une observation familière à l'historiographie<br />
marxiste,<br />
l’histoire a eu pour fonction à l’intérieur de l’idéologie bourgeoise, de montrer comment ces<br />
grandes unités nationales dont le capitalisme avait besoin, venaient de loin dans le temps et<br />
avaient, à travers des révolutions diverses, affirmé et maintenu leur unité. 205<br />
L’histoire était alors utilisée pour donner une pseudo-éternité à l'état de la société<br />
actuelle. En faisant de celle-ci le point terminal d'évolutions historiques plongeant leurs<br />
racines dans le lointain des siècles, elle visait à leur donner une nécessité intangible.<br />
L'historiographie avait pour fonction de montrer que le règne de la bourgeoisie « n’était<br />
que le résultat, le produit, le fruit d’une lente maturation et que dans cette mesure là ce<br />
règne était parfaitement fondé ». Elle apprenait en somme que, s'il y avait eu de<br />
l'histoire, désormais il n'y en aurait plus. En sanctifiant le présent, elle l'éternisait.<br />
L'histoire servait à déshistoriciser l'état actuel des choses.<br />
Contre quoi la pratique contemporaine de l’histoire se montrerait attachée<br />
désormais à « l’analyse des transformations dont sont effectivement susceptibles les<br />
sociétés » 206 . D’où une modification des catégories fondamentales de l’historiographie,<br />
qui substitue aux concepts de « temps » et de « passé » ceux de changement et<br />
d’événement. La critique menée par l’Ecole des Annales contre la notion traditionnelle<br />
d’événement, indexée sur les hauts faits de l’histoire politique, militaire ou<br />
diplomatique, a rendu possible un nouveau concept d'événement qui soutient un<br />
nouveau rapport de l'histoire aux documents constituant son matériau de travail.<br />
Foucault se réfère particulièrement à un méthode historiographique appelée « l’histoire<br />
sérielle », qui fait apparaître des procédés de production d’une événementialité multiple<br />
et variable en fonction de constructions de séries 207 . La mise en série consiste à établir<br />
204 Il s’agit de la conférence prononcée par Michel Foucault à l’université de Keio en 1970, publiée sous<br />
le titre « Revenir à l’histoire », in M. FOUCAULT, Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. II, n° 103,<br />
p. 268-281.<br />
205 Ibid., p. 272.<br />
206 Ibid., p. 272.<br />
207 L'expression d'« histoire sérielle » est forgée par Pierre CHAUNU, pour qualifier la méthode qu'il met<br />
d'abord en oeuvre avec Huguette CHAUNU dans Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, S.E.V.P.E.N.,