INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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affranchi de sa tâche ancienne de narrer l'élaboration dramatique de la dunesteia, libère<br />
de nouvelles possibilités discursives pour le récit et la narration dramatique des<br />
puissances. Le discours historien ne peut apparaître que sur le fond du reflux des<br />
« mythes de souveraineté » et des représentations de la genèse souveraine d'un ordre<br />
originaire indissociablement cosmique, social et politique. A partir du moment où<br />
disparaît l'horizon d'une telle suprématie « théologico-politique », le temps prend une<br />
épaisseur propre au sein de laquelle les puissances qui s'y affrontent se sécularisent et<br />
s'autonomisent par rapport à la scène originaire de leur avènement mythique. Dans le<br />
cadre de la Grèce classique, et singulièrement dans le contexte des guerres déstabilisant<br />
les institutions de la cité et les équilibres géopolitiques de l'espace méditerranéen, on a<br />
pu remarquer que, tant Hérodote face aux guerres médiques, que Thucydide face à la<br />
guerre du Péloponnèse, ou encore Polybe face aux guerres puniques de la conquête<br />
romaine jusqu'à la destruction de Carthage, tous ces historiens s'intéressaient avant tout<br />
au passé proche et au présent. Historiens « contemporanéistes » en quelque sorte, ils se<br />
montraient avant tout attachés à décrire et à expliquer les bouleversements que donnait<br />
à voir leur temps. Le récit du passé n'avait plus à dire l'origine ; il avait au contraire à<br />
dire ce qui se passait désormais sur fond d'absence d'origine, ou sur fond d'incertitude<br />
d'une origine dont la représentation ne pouvait plus être, comme on l'a vu chez<br />
Thucydide, que légendaire.<br />
La « démythification » du temps généalogique des puissances primordiales, et la<br />
naturalisation du temps dans lequel se déploient les phénomènes cosmologiques et<br />
humains, apparaissent ainsi comme les deux aspects d'un même processus rendant<br />
possible l'apparition du discours historien dans la Grèce classique. C'est la double voie<br />
généalogique par laquelle l'autonomisation du récit du passé, « libéré » de ses fonctions<br />
rituelles, cultuelles, politico-religieuses et sacrées, devient disponible pour prendre de<br />
nouvelles structures et de nouvelles fonctions, didactique et historiographique : la<br />
double voie en somme par laquelle le mythe trouve la possibilité de s'engager dans la<br />
voie d'une mise en discours d'un passé historique.<br />
3.2. Mythe, histoire, progrès. - Existe-t-il des « sociétés sans histoire » ? (Lévi-<br />
Strauss)<br />
Entre le récit mythique et le récit historique, il y aurait donc pas tant un rapport<br />
d'exclusion réciproque (le mythe raconterait des événements passés fabuleux, l'histoire<br />
raconterait des événements passés réels), qu'un rapport d'inversion : la mythologie<br />
renvoie à un temps originaire au sein duquel une série d'actions et de transformations<br />
conduisent à l'établissement d'un ordre définitif (cosmologique, théologique, et<br />
sociopolitique), ordre au sein duquel le temps de l'histoire devient possible, mais temps<br />
historique qui paradoxalement ne pourra introduire aucune transformation de cet ordre ;<br />
l'historiographie renvoie à des événements passés au contraire pour expliquer le<br />
bouleversement de l'ordre actuel, les transformations du présent (ainsi chez Hérodote,<br />
pensée appréhende le même phénomène, par exemple la séparation de la terre et des eaux, simultanément<br />
comme fait naturel dans le monde visible et comme enfantement divin dans un temps primordial. Pour<br />
rompre avec le vocabulaire et avec la logique du mythe, il aurait fallu à Hésiode une conception<br />
d'ensemble capable de se substituer au schéma mythique d'une hiérarchie de Puissances dominée par un<br />
Souverain. Ce qui lui a manqué, c'est de pouvoir se représenter un univers soumis au règne de la loi, un<br />
cosmos qui s'organiserait en imposant à toutes ses parties un même ordre d'isonomia fait d'équilibre, de<br />
réciprocité, de symétrie »).