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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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c/ Reste pourtant que, dans son émergence et dans ses principaux<br />

développements jusqu'au seuil du XIXe siècle, cette « contre-histoire » aura pour<br />

principale fonction stratégique – et sera utilisée comme telle à partir de positions très<br />

diverses – d'être une historiographie critique, une historiographie de contestatation du<br />

renforcement du pouvoir royal dans les institutions de la monarchie absolue : une<br />

histoire donc d'hostilité et d'opposition au pouvoir souverain. Foucault en tire plusieurs<br />

caractéristiques de cette historiographie critique, que l'on peut comprendre comme<br />

autant de pointes « tactiques » tournées contre les modes de légitimation traditionnels de<br />

la souveraineté. 1°) Premièrement, « dans cette histoire des races et de l'affrontement<br />

des races sous les lois et à travers elles, […] disparaît l'identification implicite entre le<br />

peuple et son monarque, entre la nation et son souverain, que l'histoire de la<br />

souveraineté, des souverainetés, faisait apparaître. Désormais, dans ce nouveau type de<br />

discours et de pratique historique, la souveraineté ne va plus lier l'ensemble en une unité<br />

qui sera précisément l'unité de la cité, de la nation, de l'Etat » 92 . A la fonction unifiante<br />

de l'histoire souveraine, légitimant l'identité fondamentale de la nation et de l'Etat, la<br />

contre-histoire de la « lutte des races » (par exemple en France chez les historiographes<br />

liés à la réaction nobiliaire contre Louis XIV) se présente comme une historiographie de<br />

la coupure, de la division, qui fera apprendre que ce que l'histoire souveraine a présenté<br />

comme une victoire triomphale, s'est payé pour d'autres d'une défaite, que « le triomphe<br />

des uns [est la] soumission des autres », et partant, que la souveraineté n'a pas en propre<br />

d'unifier, de lier, mais d'abord, fondamentalement, et continûment, d'asservir. 2°) D'une<br />

une seconde composante tactique de cette historiographie critique : histoire de la<br />

division, elle est aussi une histoire de discontinuité, qui est comme la face sombre,<br />

refoulée ou réprimée, de la continuité aveuglante que le souverain projette sur luimême.<br />

C'est l'historiographie d'un oubli : celui des vaincus refoulés par la souveraineté,<br />

et auxquels le récit historique doit permettre de re-légitimer leurs prétentions anciennes<br />

et leurs droits déniés. Non seulement donc « cette contre-histoire dissocie l'unité de la<br />

loi souveraine qui oblige », mais « elle brise la continuité de la gloire. Elle fait<br />

apparaître que la lumière – ce fameux éblouissement du pouvoir – [est] une lumière qui<br />

partage, qui éclaire d'un côté, mais laisse dans l'ombre, ou rejette dans la nuit, une autre<br />

partie du corps social. […] A la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, la noblesse<br />

française a commencé à faire sa généalogie non pas dans la forme de la continuité mais,<br />

au contraire, dans la forme de privilèges qu'elle aurait eus autrefois, puis qu'elle aurait<br />

perdus et qu'il s'agirait de récupérer » 93 . C'est dans ce cadre que l'on peut comprendre<br />

l'importance prise subitement par le thème des invasions franques. Par ce thème,<br />

l'historiographie nobiliaire « introduit cette grande coupure dans le temps : l'invasion<br />

des Germains au V-VIe siècle, c'est le passe-droit, c'est le moment de la rupture du droit<br />

public, le moment où les hordes qui déferlent de Germanie mettent un terme à<br />

l'absolutisme romain » 94 . C'est donc aussi cet événement qui, par contre-coup, dénonce<br />

la mystification de la monarchie lorsqu'elle invoque ses ascendances romaines pour<br />

justifier l'absolutisme de son pouvoir et de son droit. 3°) D'où encore, corrélativement,<br />

aristocratique française contre le pouvoir de Louis XIV. Au début du XIXe siècle, il a été lié, à coup sûr,<br />

au projet post-révolutionnaire d'écrire enfin une histoire dont le sujet vrai serait le peuple. Mais, quelques<br />

années après, vous le voyez servir à la disqualification des sous-races colonisées. Donc mobilité,<br />

polyvalence de ce discours : son origine, à la fin du Moyen Âge, ne l'a pas suffisamment marqué pour<br />

qu'il ne fonctionne politiquement que dans un sens »).<br />

92 Ibid., p. 61.<br />

93 Ibid., p. 61 et 68.<br />

94 Ibid., p. 125-126.

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