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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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sous le titre Aux marges de l'histoire (Histoire des groupes sociaux subalternes). Il y a<br />

ébauche sous une forme programmatique (sa mort prématurée en 1937 laissera ce<br />

programme sans suite) un champ d'étude dont il montre à la fois l'importance et les<br />

difficultés inhérentes : celui d'une reconstruction des modes de vie de groupes qui,<br />

précisément dans la mesure où ils ont toujours été historiquements dominés, n'ont pu<br />

conquérir les conditions élémentaires d'autonomie leur permettant d'énoncer dans leur<br />

propre langage quelque chose en quoi ils pourraient reconnaître « leur » histoire (a<br />

fortiori l'histoire de « leurs » luttes). Dans la note 2 de ce 25 ème cahier, intitulée<br />

« Critères méthodologiques », Gramsci explique que « l'histoire des groupes sociaux<br />

subalternes est nécessairement fragmentée et épisodique […] elle est continuellement<br />

brisée par l'initiative des groupes dominants ». Le travail de l'historien s'en trouve dès<br />

lors inévitablement compliqué, en raison de la difficulté à identifier cet objet d'étude<br />

constamment brisé par les assaut des groupes dominants. De là, ce rapport de<br />

domination produit comme effet une raréfaction du champ documentaire qui seul<br />

pourrait rendre possible le travail de reconstruction historiographique. Cette raréfaction<br />

ne doit pas seulement s'entendre au sens où les groupes dominants détruiraient les traces<br />

discursives par lesquelles les groupes subalternes tenteraient d'énoncer leurs propres<br />

luttes, mais au sens où l'assujettissement de ces derniers les empêchent à la limite<br />

d'avoir l'idée même qu'ils ont une histoire, et une histoire qui leur est propre, c'est-à-dire<br />

qui ne se confond pas avec l'histoire des groupes hégémoniques. Gramsci écrit en ce<br />

sens dans le Cahier 3 :<br />

On peut dire que l'élément de spontanéité est ainsi caractéristique de « l'histoire des classes<br />

subalternes » et même des éléments les plus marginaux et périphériques de ces classes, ceux qui<br />

n'ont pas rejoint la conscience de la classe « pour soi » et qui donc ne soupçonnent même pas<br />

que leur histoire puisse avoir une importance quelconque et que cela ait une valeur quelconque<br />

d'en laisser des traces documentaires.<br />

Le problème ne vient donc pas seulement de la faiblesse quantitative des<br />

documents disponibles, mais plus profondément de l'hétéronomie discursive dans<br />

laquelle se trouvent les groupes dominés, dont la situation de domination se reconnaît<br />

précisément au fait qu'ils ne peuvent appréhender celle-ci, la penser, la symboliser,<br />

l'articuler discursivement, que dans le langage (au sens large : le système symbolique<br />

ou « culturel ») des dominants eux-mêmes. C'est en ce sens que se pose un problème<br />

proprement historiographique des subalternes, à savoir celui de la reconstruction<br />

documentaire des témoignages du passé. Cette reconstruction s'efforce de prendre en<br />

compte tous les courants souterrains, vaincus, cachés de l'histoire, mais aussi les<br />

histoires individuelles, des groupes restreints, dans leurs aspects partiels et sporadiques<br />

– discontinus dans le temps extérieur des luttes sociales, mais aussi discontinus dans le<br />

« temps intérieur », pour ainsi dire, des régimes collectifs d'énonciation, où cette<br />

histoire ne peut apparaître principalement qu'à l'état de signes, de traces, voire (pour<br />

reprendre la métaphore psychanalytique du refoulement rencontrée précédemment) de<br />

symptômes – ou suivant encore un terme que privilégiera l'historien italien Carlo<br />

Ginzburg, fort proche de cette problématique (proche aussi de Foucault en ce sens), à<br />

l'état d'indices. Dès lors, se poseront une série de questions : comment reconstruire des<br />

telles histoires ? Comment pallier au caractère partiel des sources à disposition, presque<br />

toujours rédigées par les classes dominantes ? Dans quels domaines la « voix » des<br />

subalternes peut-elle nous aider à concevoir un cadre plus large des événements<br />

historiques ou même à formuler des hypothèses alternatives sur des événements qu'on

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