INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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l'institutionnalisation académique : l'école dite « méthodique », autour de figures que<br />
nous avons déjà rencontrées, tels G. MONOD, Ch.-V. LANGLOIS et<br />
Ch. SEIGNOBOS. Ces historiens s'étaient montrés soucieux d'établir les conditions de<br />
rigueur scientifique de leur discipline, tout en soulignant l'irréductibilité du savoir<br />
historien, tant aux philosophies de l'histoire, qu'elles s'inspirent du providentialisme<br />
chrétien ou du progressisme rationaliste, qu'aux autres formes de rationalité scientifique.<br />
Irréductibilité consistant, en dernière analyse, en ceci que le travail des historiens porte<br />
sur des faits toujours singuliers : singuliers du point de vue temporel (les faits<br />
surviennent à un moment déterminé du temps qui lui-même ne peut se répéter), du point<br />
de vue des acteurs (les événements sont toujours réalisés (et subis) par des individus<br />
déterminés), et du point de vue de leur « matière » historiographique (les faits passés<br />
n'entrent dans la « positivité » du savoir historien que par les documents toujours<br />
singuliers qui en portent le témoignage à travers le temps). A tous ces égards, l'historien<br />
se devait de ne s'intéresser qu'aux « faits » en délaissant les constructions spéculatives<br />
ou métaphysiques sur l'histoire universelle. Et ces faits étant irréductiblement singuliers,<br />
dont impossibles à reproduire ou à répéter, ils épargnaient à la démarche<br />
historiographique la prétention de rechercher des lois générales, c'est-à-dire des formes<br />
de régularité et d'invariance dans les phénomènes comme celles que visent à mettre au<br />
jour les sciences de la nature (sciences « nomologiques »). D'où la définition<br />
singulièrement économique que Langlois et Seignobos pouvaient donner de leur<br />
discipline : « l'histoire n'est que la mise en oeuvre de documents » 188 , ces derniers valant<br />
comme les seuls « faits » sur lesquels doit porter l'analyse historique, et la tâche<br />
élémentaire de l'historien s'avérant documentaire : les historiens « méthodiques »<br />
oeuvreront considérablement au développement et à l'enrichissement des institutions<br />
d'archives et à la patrimonialisation de leurs fonds.<br />
Par rapport à l'Ecole méthodique, les contributeurs des Annales prétendront<br />
opérer une rupture à multiples faces, touchant à ce qu'ils en perçoivent comme les<br />
présupposés implicites. Sous l'ambition de ne s'en tenir qu'aux faits singuliers attestés<br />
par les archives documentaires, les historiens « méthodiques » privilégieraient une<br />
compréhension implicite de ce qui vaut comme « fait historique », ce dont témoignerait<br />
aussi bien leur conception non-critique de la valeur épistémique d'un document 189 , que<br />
les constructions narratives emblématisées par les « Histoires de France » dans la veine<br />
d'Ernest Lavisse. Quels sont ces présupposés ?<br />
a/ les faits historiques seraient toujours ce que des individus font ou subissent –<br />
cette histoire reposerait sur ce que l'on appellera plus tard en science sociale un<br />
« individualisme méthodologique », mais non explicité comme tel ;<br />
b/ l'individu étant le porteur ultime du changement historique, « les changements<br />
les plus significatifs [seraient] les changements ponctuels, ceux-là même qui affectent la<br />
188 Ch.-V. LANGLOIS, Ch. SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette, 1898,<br />
p. 275<br />
189 « Ce que les fondateurs de l'école des Annales avaient voulu combattre, c'était d'abord la fascination<br />
par l'événement unique, non répétable, ensuite l'identification de l'histoire à une chronique améliorée de<br />
l'Etat, enfin – peut-être surtout – l'absence de critère de choix, donc de problématique dans l'élaboration<br />
de ce qui compte comme “faits” en histoire. Les faits, ces historiens ne cessent de le répéter, ne sont pas<br />
donnés dans les documents, mais les documents sont sélectionnés en fonction d'une problématique. Les<br />
documents eux-mêmes ne sont pas donnés : les archives officielles sont des institutions qui reflètent un<br />
choix implicite en faveur de l'histoire conçue comme recueil d'événements et comme chronique de l'Etat.<br />
Ce choix n'étant pas déclaré, le fait historique a pu paraître régi par le document et l'historien recevoir ses<br />
problèmes de ces données » (P. RICOEUR, Temps et récit, t. I, Paris, Point-Seuil, p. 193).