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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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Le discours historiographique est venu cimenter l'intégration communautaire en lui<br />

donnant ses mythes propres, en même temps qu'il y trouvait en retour le moyen de son<br />

renforcement institutionnel et de son développement au sein de l'édifice social et<br />

symbolique de la République. Il ne s'agit pas de réduire l'institution scolaire à cette<br />

fonction d'inculcation idéologique (ses fonctions sont sans doute plus complexes, plus<br />

contradictoires aussi), et moins encore de réduire l'historiographie savante à cette<br />

fonction de mythologisation politique. Comprendre en revanche la façon dont, sur le cas<br />

d'exemple français, se sont ainsi noués l'une à l'autre l'historiographie institutionnalisée<br />

et la stabilisation d'un certain paradigme idéologico-politique, peut permettre d'analyser<br />

les effets d'après-coup que cette fusion a produits, et singulièrement de rendre compte<br />

des raisons qui font du discours historien d'une part, de l'institution scolaire d'autre part,<br />

des points récurrents de crispation des débats, des aspirations et des contestations dans<br />

la vie sociale et politique française. Fait inintelligible si l'on ne tient pas compte de<br />

l'histoire de l'institution historiographique contemporaine, qui s'est vue érigée en pilier<br />

de l'intégration des individus à la communauté nationale et donc de renforcement et de<br />

pérennisation du pouvoir républicain, et qui, partant, a noué le sort du savoir historien,<br />

tant au surinvestissement politico-idéologique dont il n'a cessé d'être l'objet, qu'aux<br />

crises successives traversées par ce paradigme politique (ce qui rend évidemment<br />

hasardeuse, pour dire le moins, l'invocation rituelle des gloires et prodiges de « l’école<br />

Jules Ferry »).<br />

Pour éclairer ce dernier point, on peut revenir ici aux débats publics<br />

contemporains concernant le rôle des historiens dans la cité et l'instrumentalisation de<br />

leurs savoirs dans l'espace des revendications et des affrontements politiques. On peut<br />

tenir, plus particulièrement, pour emblématique la vivacité des tensions cristallisées par<br />

le traitement du passé colonial de la France, qu'il s'agisse des pratiques de torture et des<br />

exactions de l’armée française pendant les guerres de décolonisation 114 , du sort des<br />

harkis à la fin de la guerre d’Algérie, ou encore du rôle des colonisés enrôlés dans<br />

l’armée française pendant les deux guerres mondiales 115 . Ces différents débats qui ont<br />

tendus l’espace public, ont été particulièrement avivés par le cortège desdites « lois<br />

mémorielle » 116 – formule dont il faut entendre ce qu'elle a de stupéfiant par la collusion<br />

qu'elle exprime entre le rapport à l'histoire et l'usage idéologico-symbolique de<br />

l'appareil législatif (comme instrument de légitimation ou de délégitimation d'une<br />

reconnaissance collective) –, et notamment par l'aliéa 2 de l'article 4 de la Loi<br />

Mekachera de février 2006, appelant les enseignants d'histoire à revaloriser dans les<br />

écoles le « rôle positif de la présence française outre-mer ». Ces lois mémorielles<br />

solidarisent deux démarches pourtant irréductiblement hétérogènes : une démarche<br />

scientifique (l’histoire), qui vise à produire une connaissance, et une démarche<br />

politique, qui vise à produire une reconnaissance (ce qui est tout à fait autre chose : la<br />

reconnaissance est un fait symbolique). Ces actes législatifs sont, qu’on le veuille ou le<br />

non, tributaires d’une périlleuse confusion des genres : une histoire officielle délimitée<br />

par un gouvernement (tout État national requiert une telle histoire idéologique) et une<br />

histoire scientifique, en perpétuelle réinterprétation de ses propres résultats par les<br />

114 Voir déjà le grand film de Gillo Pontecorvo « La Bataille d'Alger » de 1966.<br />

115 Question replacée dans l'espace public par le film de Rachid Bouchareb Indigènes (2006).<br />

116 Notamment, pour rappel : La loi Gayssot du 13 juillet 1990, qui créé le délit de négationnisme du<br />

génocide juif ; La loi du 29 janvier 2001 « relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 » ;<br />

La loi Taubira du 21 mai 2001 « tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l’esclavage<br />

en tant que crime contre l’humanité » ; La loi Mekachera du 23 février 2005 « portant reconnaissance de<br />

la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés ».

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