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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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102<br />

vie des individus en raison de leur brièveté et de leur soudaineté » 190 ;<br />

c/ ce double primat, de l'individu « comme ultime atome de l'investigation<br />

historique », et de l'événement « comme ultime atome du changement social »,<br />

conduirait spontanément à privilégier le niveau où il semble particulièrement adéquat,<br />

tout en convergeant avec les fonctions idéologiques dont se charge l'institution<br />

historienne sous la IIIe République 191 : le niveau de l'histoire politique, elle même<br />

réduite à sa dimension événementielle la plus superficielle : l'histoire-chronique, celle<br />

des batailles, des événements diplomatiques, et des rituels de la vie politique réduite aux<br />

faits et gestes des hommes d'Etat.<br />

C'est en effet dans l'histoire politique, militaire, diplomatique, ecclésiastique, que les individus –<br />

chefs d'Etats, chefs de guerre, ministres, diplomates, prélats – sont censés faire l'histoire. C'est là<br />

aussi que règne l'événement assimilable à une explosion. « Histoire de batailles » et « histoire<br />

événementielle » […] vont de pair. Primat de l'individu et primat de l'événement ponctuel sont<br />

les deux corollaires obligés de la prééminence de l'histoire politique. 192<br />

Ce sont ces trois présupposés que concentre le concept d'événement critiqué par<br />

les tenants des Annales, critique dont F. SIMIAND avait posé les premières bases dès<br />

1903 193 , et que formulera après guerre en toute clarté Fernand Braudel dans sa préface à<br />

l'un de ses grands ouvrages, La Méditerranée et le Monde méditerranée à l'époque de<br />

Philippe II (1949), puis l'année suivante dans sa « Leçon inaugurale » au Collège de<br />

France 194 . L'enjeu en sera alors indissociablement épistémologique et stratégique.<br />

Epistémologique d'abord : à la focalisation sur l'histoire politique dans sa dimension<br />

individuelle, il s'agira de substituer une nouvelle structure d'objet pour l'historiographie,<br />

apparentée au concept de « fait social total » forgé par l'anthropologue et sociologue<br />

Marcel MAUSS, c'est-à-dire un « fait » passé entrecroisant toutes les dimensions<br />

collectives de la vie sociale : économique, politique, sociologique, culturelle... Aussi les<br />

« agents » du processus historique ne seront-ils plus prioritairement des individus<br />

exemplaires, tels les « grands hommes » de l'« Histoire de France », mais des<br />

ensembles sociologiques, économiques, culturels : « groupes, catégories et classes<br />

sociales, villes et campagnes, bourgeois, artisans, paysans et ouvriers... Avec Braudel,<br />

l'histoire devient même une géo-histoire, dont le héros est la Méditerranée et le monde<br />

méditerranée, avant que lui succède, avec Huguette et Pierre Chaunu, l'Altlantique entre<br />

Séville et le Nouveau Monde » 195 . Corrélativement, contre la focalisation de<br />

l'historiographie « méthodique » sur les événements saisis dans leur connotation de<br />

hauts faits, de mutations brusques et d'actions décisives, il s'agira de faire valoir une<br />

temporalité sociale dont les principales catégories (structure, conjoncture, cycle,<br />

tendance, croissance, crise) seront empruntées aux autres sciences sociales, l'économie,<br />

la démographie et la sociologie. D'où aussi l'enjeu stratégique : la critique de la<br />

catégorie d'événement prend sens dans le cadre d'une entreprise plus large qui tient à la<br />

190 P. RICOEUR, Temps et récit, t. I, op. cit., p. 183.<br />

191 Voir supra. Ie partie, chap. 2.<br />

192 P. RICOEUR, Temps et récit, t. I, op. cit., p. 184-185.<br />

193 F. SIMIAND, « Méthode historique et sciences sociales. Etude critique d'après les ouvrages récents de<br />

M. Lacombe et de M. Seignobos. 2e partie », Revue de Synthèse Historique, 1903, p. 129-157.<br />

194 F. BRAUDEL, « Positions de l'histoire en 1950 », rééd. in Ecrits sur l'histoire, Paris, Champs-<br />

Flammarion, 1969, p. 16-38.<br />

195 P. RICOEUR, Temps et récit, t. I, op. cit., p. 185 (Ricoeur fait allusion ici à la somme de Huguette et<br />

Pierre CHAUNU, Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, S.E.V.P.E.N., 1955-1960, 12 vol. ; il y fera à<br />

nouveau référence plus loin.

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