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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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signifie pour autant qu'elle entretient avec les autres dates des rapports complexes de<br />

corrélation et d'opposition. Chaque classe se définit par une fréquence, et relève de ce qu'on<br />

pourrait appeler un corps, ou un domaine d'histoire. […] L'histoire est un ensemble<br />

discontinu formé de domaines d'hitoire, dont chacun est défini par une fréquence propre, et<br />

par un codage différentiel de l'avant et de l'après. Entre les dates qui les composent les uns et<br />

les autres, le passage n'est pas plus possible qu'il ne l'est entre nombres naturels et nombres<br />

irrationnels. Plus exactement : les dates propres à chaque classe sont irrationnelles par<br />

rapport à toutes celles des autres classes […] ». 172<br />

1.3. L'événement interminable, achever l'événement : le problème de<br />

l'historiographie révolutionnaire (Auguste Comte, François Furet)<br />

L'analyse de Lévi-Strauss, aussi éclairante soit-elle pour la compréhension des<br />

opérations intellectuelles et logiques qui sous-tendent toute identification d'un<br />

événement, paraît superposer deux problèmes pourtant distincts : a/ le problème de<br />

l'identification de l'événement par sa date, donc (suivant l'analyse de Lévi-Strauss) par<br />

les opérations implicites de classification et de distinction qui à la fois intègrent cette<br />

date dans une classe d'autres dates, et la distinguent d'autres classes de dates avec<br />

lesquels elle n'a pas de rapport signifiant ; b/ et le problème de l'individuation d'un<br />

événement, c'est-à-dire le problème de déterminer où commence et où se termine<br />

exactement un événement. Lévi-Strauss lui-même pointe une manière de formuler la<br />

difficulté lorsqu'il explique que « ce qui rend l'histoire possible, c'est qu'un sousensemble<br />

d'événements se trouve, pour une période donnée, avoir approximativement la<br />

même signification pour un contingent d'individus qui n'ont pas nécessairement vécu<br />

ces événements, et qui peuvent même les considérer à plusieurs siècles de distance.<br />

L'histoire n'est donc jamais l'histoire, mais l'histoire-pour. Partiale même si elle se<br />

défend de l'être, elle demeure inévitablement partielle, ce qui est encore un mode de la<br />

partialité. Dès qu'on se propose d'écrire l'histoire de la Révolution française, on sait (ou<br />

on devrait savoir) que ce ne pourra pas être simultanément et au même titre, celle du<br />

jacobin et celle de l'aristocrate » 173 . En écho à cette remarque, l'historien François<br />

FURET a repris cette question en examinant les difficultés que rencontrait le travail<br />

historiographique lorsqu'il se confrontait à ce qui constitue dans l'histoire moderne le<br />

paradigme de l'événementialité historique : une révolution. Cela fait l'objet de la<br />

première partie de son ouvrage Penser la révolution française, intitulée « La Révolution<br />

française est terminée ». Cette formule, sous la plume d'un historien en 1978, pourrait<br />

sonner simplement comme un truisme. Pour en comprendre la signification profonde, il<br />

faut revenir à l'histoire de cet événement, non pas tant du point de ses causes, que du<br />

point de vue au contraire de ses effets.<br />

C'est qu'en effet, « terminer la révolution française », loin de pouvoir se réduire<br />

au constat qu'aurait pu faire un observateur en 1790, ou en 1793, ou même en 1799,<br />

forme un mot d'ordre qui ne cessera de dominer la scène politique française tout au long<br />

du XIXe siècle. Dès les premiers feux de l'événement, le député Antoine Barnave<br />

proclamait à l'Assemblée : « Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la<br />

recommencer ? Si vous vous défiez une fois de la Constitution, où sera le point où vous<br />

vous arrêterez, et où s'arrêteront surtout vos successeurs ? ». Un demi-siècle plus tard,<br />

172 Cl. LEVI-STRAUSS, La Pensée Sauvage, 1962, rééd. Plon/Press Pocket, p. 305-313, p. 308-310 pour<br />

l'extrait cité.<br />

173 Cl. LEVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, op. cit., p. 307.

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