INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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Qu'elle s'en soit relativement affranchie depuis plusieurs décennies maintenant, ne laisse<br />
pourtant le politique revenir à la charge pour la rappeler à cette fonction. Qu'en tout état<br />
de cause la communauté historienne dans sa majorité se refuse à une telle<br />
instrumentalisation, ne doit pas conduire à occulter les contradictions internes qui la<br />
traversent en raison de sa propre histoire. En dernière analyse, ces contradictions<br />
viennent du rôle que l'historiographie a été historiquement déterminée à occuper dans<br />
les modes de construction de l’identité collective promue par le modèle républicainnational<br />
français. Comme nous l'avons vu en examinant quelques traits de l'oeuvre de<br />
Lavisse, ce modèle, tel qu’il a été forgé au XIXe siècle et a cristallisé sous la Troisième<br />
République, fait reposer pour une grande part l’identité collective sur l’identité d’une<br />
histoire nationale commune, de sorte que la République, prétendant également intégrer<br />
des individus d’autres cultures, se trouve dans l'alternative, soit de devoir nier que ces<br />
autres cultures ont une histoire, donc de nier qu'elles sont véritablement des cultures –<br />
suivant une conception largement promue dans la légitimation idéologique de<br />
l'impérialisme coloniale 119 –, soit de devoir s’assimiler d’une manière ou d’une autre des<br />
fragments de ces cultures et de leur histoire propre. Ce qu’elle fait bien sûr très<br />
inégalement, et, inévitablement, dans des conditions particulièrement conflictuelles<br />
lorsque ces histoires recoupent l’histoire coloniale française qui concentre toutes les<br />
contradictions de la construction républicaine-nationale de l'identité collective, entre<br />
universalisme et particularisme, entre intégration « civilisatrice » dans la citoyenneté, et<br />
conquête impérialiste et oppression des peuples non-européens. Indépendamment de la<br />
question de la légitimité à accorder aux revendications de telle ou telle communauté<br />
spécifique réclamant la reconnaissance symbolique, l’important, du point de vue d'une<br />
analyse des sources de ces débats, est de voir qu'elles marquent un « retour de bâton »<br />
d'une telle construction. Celui-ci faisant de l’histoire l’un des principaux facteurs de la<br />
reconnaissance nationale, et le registre symbolique privilégié de l’appartenance à la<br />
communauté de la République, il est inévitable que les crises de l'idéal<br />
« intégrationniste » républicain, les luttes pour la reconnaissance qui en résultent, les<br />
jeux d'inclusion différentielle et d'exclusion que subissent certaines parties de la<br />
population, viennent se loger et se formuler dans ce même langage, et s'exprimer dans la<br />
forme de réclamations de « lieux de mémoire », dont aussi de « conflits d'historicité »,<br />
ou encore – si l'on veut souligner la dimension identitairement vécue du phénomène –<br />
de « conflits de mémoire ». C'est dire simplement que c’est dans le discours historien,<br />
en son complexe scientifico-idéologique, que viennent s’inscrire, se réfléchir et<br />
s’articuler les tensions résultant de la politique coloniale française, et plus généralement<br />
aujourd’hui, les tensions résultant des difficultés du modèle républicain à maintenir<br />
119 On ne croira pas cependant que cette conception apparatient à un passé révolu : elle fut réactivée tout<br />
récemment, par exemple, dans le discours halluciné du président français à l'université Cheikh Anta Diop<br />
de Dakar en juillet 2007 : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans<br />
l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être<br />
en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition<br />
sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y<br />
a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande<br />
tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste<br />
immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance<br />
vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. […]. Le<br />
problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de<br />
l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas<br />
pour la raison qu'il n'a jamais existé. Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la<br />
nostalgie du paradis perdu de l'enfance… » (N. Sarkozy, Discours de Dakar, 26 juillet 2007).