INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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Le signe qu’une révolution est réussie, c’est qu’elle n’aura pas eu lieu ; c'est le<br />
temps du futur antérieur auquel on pourra la conjuguer après coup, une fois qu'elle aura,<br />
par son déroulement même, résorbé dans une continuité rétrospective l’effet de<br />
discontinuité en quoi elle consiste au présent car son caractère foncièrement négatif ou<br />
dissolutif (c'est le sens que Comte donne souvent à l’adjectif « révolutionnaire »). La<br />
révolution a lieu, mais elle n’aura pas eu lieu. L’événement révolutionnaire n’apparaît<br />
donc que dans une sorte d’entre deux. Ni tout à fait passé (puisqu’on n’est encore<br />
dedans, on n’en fini pas d’échouer à y mettre un terme), ni à proprement parler à venir<br />
(puisque dans son avenir son événementialité se sera dissipée), il est ce temps d’un<br />
présent qui n’est que d’instabilité. Ajoutons : l'événement révolutionnaire est un<br />
moment qui n’est pas non plus tout à fait présent, pour autant qu’il ne trouve pas à<br />
s’inscrire subjectivement autrement que sous la forme négative d’une désorganisation<br />
des structures intellectuelles, pratiques et affectives des individus et des groupes<br />
sociaux. De ce point de vue subjectif encore, la révolution n’aura eu « lieu » qu’à la<br />
condition que soit annulé son effet de discontinuité, qu’en soit « effacée » sa localisation<br />
événementielle et traumatique.<br />
Nous pouvons revenir maintenant sur l'analyse produite par François FURET<br />
des problèmes rencontrés par l'historiographie de la Révolution française. Ces<br />
problèmes témoignent de cette temporalité spéciale d'un tel événement, et de ses effets<br />
sur les tentatives qui ont été faites pour l'analyser et le penser. C'est que dans cet<br />
événement, la société française contemporaine s'est donnée, non pas un moment parmi<br />
d'autres de son histoire, mais proprement un mythe de l'origine, analogue à celui<br />
qu'avaient constituées pour l'Ancien Régime les invasions franques, où les historiens<br />
avaient cherché « la clé de la structure de la société de cette époque » :<br />
Ils pensaient que les invasions franques étaient à l'origine de la division entre noblesse et roture,<br />
les conquérants étant la souche originelle des nobles, les conquis celle des roturiers. Aujourd'hui,<br />
les invasions franques ont perdu toute référence au présent puisque nous vivons dans une société<br />
où la noblesse n'existe plus comme principe social ; en cessant d'être le miroir imaginaire d'un<br />
monde, elles ont perdu l'éminence historiographique dont ce monde les avait revêtues et son<br />
passées du champ de la polémique sociale à celui de la discussion savante.<br />
C'est qu'à partir de 1789, la hantise des origines, dont est tissée toute histoire nationale, s'investit<br />
précisément sur la rupture révolutionnaire. Comme les grandes invasions avaient constitué le<br />
mythe de la société nobiliaire, le grand récit de ses origines, 1789 est la date de naissance,<br />
l'année zéro du monde nouveau... 176<br />
Or cette dimension mythique de l'événement révolutionnaire (au sens où tout<br />
mythe est, en dernière analyse, mythe de l'origine), loin d'avoir été purement et<br />
simplement résorbée par la positivité de la science historienne, s'est au contraire logée<br />
en elle, lui a assigné longtemps la fonction sociale d'entretenir ce récit des origines, et y<br />
a produit des effets structurants sur les partages mêmes de son champ d'étude et de son<br />
institution :<br />
Qu'on regarde par exemple le découpage académique des études historiques en France : l'histoire<br />
« moderne » se termine en 1789, avec ce que la Révolution a baptisé l'« Ancien Régime », qui se<br />
trouve ainsi avoir, à défaut d'un acte de naissance clair, un constat de décès en bonne et due<br />
forme. A partir de là, la Révolution et l'Empire forment un champ d'études séparé et autonome,<br />
qui possède ses chairs, ses étudiants, ses sociétés savantes, ses revues ; le quart de siècle qui<br />
sépare la prise de la Bastille de la bataille de Waterloo est revêtu d'une dignité particulière : fin<br />
176 F. FURET, Penser la révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 14. Sur cette question, voir ci-<br />
dessus Ière partie, chapitre 2.