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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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CHAPITRE II. ECRIRE L'HISTOIRE, ENTRE SAVOIR ET POUVOIR<br />

Repartons du simple constat que les historiens, de longue date, furent souvent<br />

contrôlés (parfois enrôlés) par les instances du pouvoir politique. Bourdé et Martin<br />

rappellent : « Les rapports des historiens avec le pouvoir, assez lâches dans le monde<br />

grec, furent plus contraignants à Rome où quiconque déplaisait pouvait encourir l'exil<br />

ou pire. Ce fut surtout le régime impérial qui surveilla de près les historiens et leur<br />

imposa une sorte de ligne officielle. Sous Tibère, on brûla même les oeuvres du<br />

Sénateur Cremutius Cordus, qui fut poussé au suicide. D'où les précautions prises par un<br />

Flavius Josèphe, faisant authentifier par l'empereur ses livres sur la guerre juive, et par<br />

un Sozomène, soumettant son oeuvre à Théodose II, en le laissant libre “d'y ajouter et<br />

d'y retrancher à discrétion” » 78 . Ces auteurs soulignent pourtant que, hormis les comptes<br />

rendus des campagnes militaires, ces servitudes imposées par le pouvoir ne permettent<br />

pas de parler d'« historiens officiels », qui seraient expressément diligentés par le<br />

pouvoir pour construire, à des fins apologétiques, le récit de telle séquence du règne, de<br />

telle expédition militaire glorieuse, etc. Cette observation générale impose un double<br />

parcours. Il s'agira d'analyser d'abord dans quelles conditions et sous quelles formes<br />

(elles-mêmes historiquement multiples) a pu s'opérer un tel nouage du récit<br />

historiographique et du pouvoir, de l'exercice du pouvoir, et de sa légitimation. Mais<br />

cette observation devra aussi conduire, pour aborder dans toute son extension le<br />

problème du rapport entre l'histoire et le pouvoir, à poser ce problème non pas<br />

seulement là où des historiens sont explicitement enrôlés par un pouvoir établi, mais<br />

aussi là où ils jouissent d'une autonomie par rapport à lui. Non pas seulement là où le<br />

savoir historien est ouvertement instrumentalisé, se voyant imposés des falsifications ou<br />

des « forçages » de ses procédures de connaissances, mais au contraire là où il peut<br />

justifier la rigueur de ses procédures, de sa méthode, de sa « rationalité » et de son esprit<br />

critique. Pour la période contemporaine, la question se pose ainsi de savoir si<br />

l'institutionnalisation de la production du savoir historique, au sein d'institutions<br />

spécialisées garantissant l'autonomie de la recherche scientifique, suffit à dissiper ces<br />

servitudes imposées, ou si celles-ci prennent d'autres formes, plus indirectes, plus<br />

« médiatisées », autrement conflictuelles. Autrement dit, la question de fond est de<br />

savoir si la « rationalisation » de ce champ de connaissance scientifique suffit à le<br />

mettre à l'écart des rapports de forces sociopolitiques de l'espace social, où si elle est<br />

encore une autre manière pour cette connaissance d'appartenir à cet espace conflictuel,<br />

et donc d'être prise dans la dialectique des pouvoirs et des contre-pouvoirs qui s'y<br />

opposent. Nous examinerons dans ce chapitre la façon dont ce problème a été pris en<br />

charge par des historiens et des épistémologues de l'historiographie, amené à le traiter,<br />

non comme un problème intéressant seulement une sociologie de la connaissance<br />

historique, mais comme un problème concernant cette connaissance, pour ainsi dire, de<br />

l'intérieur.<br />

1) L'historiographie comme fonction de pouvoir<br />

1.1) Récit des origines, entre historiographie et politique : du droit de conquête<br />

78 G. BOURDE, H. MARTIN, Les Ecoles historiques, op. cit., qui s'appuient ici sur l'ouvrage d'Arnaldo<br />

MOMIGLIANO, Essays in Ancient and Modern Historiography (1977), tr fr., Problèmes<br />

d'historiographie ancienne et moderne, Paris, Gallimard, 1983.

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