INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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aussi inévitablement partial (son point de vue exclut les autres points de vue<br />
coexistants, en les déformant ou en les falsifiant, et en s'érigeant comme le seul point de<br />
vue juste et d'information fiable sur la situation). L'historien se trouve donc face à une<br />
tâche complexe. Celle d'abord de départager le vrai du faux dans les informations qu'il<br />
collecte, par leur authentification, en fonction de la valeur de leurs sources, selon qu'il<br />
s'agit de témoins directs, ou selon l'« antiquité » des témoignages qui leur confère selon<br />
Thucydide une « certitude suffisante », analogue à l'impartialité que l'on peut prêter à<br />
des informateurs qui n'étaient pas directement engagés dans les événements. Mais cette<br />
première tâche renvoie à une seconde, peut-être plus profonde, qui touche moins au<br />
problème du partage du vrai et du faux, qu'à celui de l'évaluation de l'importance des<br />
faits relatés par les témoins – y compris par l'historien lui-même :<br />
Quant aux événements de la guerre, je n'ai pas jugé bon de les rapporter sur la foi du premier<br />
venu, ni d'après mon opinion ; je n'ai écrit que ce dont j'avais été témoin ou pour le reste ce que<br />
je savais par des informations aussi exactes que possible. Cette recherche n'allait pas sans peine,<br />
parce que ceux qui ont assisté aux événements ne les rapportaient pas de la même manière et<br />
parlaient selon les intérêts de leur parti ou selon leurs souvenirs variables. 5<br />
Un témoin direct peut rapporter des faits qui, sans être faux à proprement parler,<br />
seront toutefois relatés de façon biaisée, tendancieuse, donnant beaucoup d'importance à<br />
des faits que l'historien découvrira être peu signifiants, ou à l'inverse, prêtant peu de<br />
poids ou omettant certains éléments qui s'avèreront au contraire décisifs pour le cours<br />
des événements. Problème, donc, non pas du partage du vrai du faux par une frontière<br />
univoque, mais de l'évaluation graduelle du plus ou moins important, du plus ou moins<br />
pertinent pour l'explication, du plus ou moins signifiant pour comprendre<br />
l'enchaînement des faits. S'ouvrent ainsi deux problèmes qu'ils nous faudra examiner<br />
pour eux-mêmes ultérieurement (voir infra. IIe partie) : le problème de l'examen<br />
critique des sources, témoignages ou archives, dont le traitement (authentification,<br />
datation, repérage des falsifications volontaires ou des déformations involontaires...) a<br />
lui-même une histoire ; et le problème de l'interprétation des données sélectionnées, qui<br />
pose la question de savoir quelles opérations permettent d'apprécier leur pertinence<br />
explicative, et plus fondamentalement, de leur conférer un sens.<br />
1.2. Mémoire sacrée et sécularisation de la mémoire : une condition historique<br />
de la naissance de l'historiographie (retour sur Hérodote)<br />
Observons plutôt ici que, dans cette réduction critique que l'historien s'astreint à<br />
réaliser sur les constructions mémorielles qui entrent dans la matière même de son<br />
travail, l'objectif visé n'en reste pas moins apparenté à celui que réalise la mémoire.<br />
Avant Thucydide, un autre auteur également considéré comme l'un des fondateurs de la<br />
discipline – et chronologiquement comme le premier –, HERODOTE, en avait même<br />
fait la motivation principielle de son entreprise. Ecrivant l'histoire, l'historien lutte<br />
contre l'oubli, sauve le passé de sa pure et simple disparition. S'il ne se borne pas à<br />
répéter la mémoire, ce n'est pas tant parce qu'il l'exclut que parce qu'il s'y substitue, et<br />
prend son relais en la continuant par d'autres moyens plus fiables et plus rationnels.<br />
C'est pourquoi l'histoire se heurte à la mémoire : elle n'en prend pas le relais sans en<br />
modifier la nature, en procédant à une rationalisation d'une séquence historique passée<br />
5 THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, Livre I, XXII.