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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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évolutionniste du progrès, mais tout autant de verser dans la tentation rétrograde des<br />

discours nihilistes de la décadence de la civilisation. Examinons donc les arguments de<br />

Lévi-Strauss dans ce texte, qui nous permettra de préciser les problèmes que soulève<br />

cette notion de progrès 56 .<br />

Le premier postulat de l'idée de progrès, qui a pu soutenir la frontière tracée par<br />

certains ethnologues, entre « histoire stationnaire » et « histoire cumulative », réside<br />

dans la possibilité d'étalonner l'intégralité des sociétés humaines, dans leur diversité à la<br />

fois géographique et historique, sur une seule et même ligne d’évolution, ligne à la fois<br />

homogène, continue et orientée. Cette conception évolutionniste de l’histoire des<br />

sociétés et des cultures, observe Lévi-Strauss, remplit très souvent une fonction de<br />

hiérarchisation des sociétés. Hiérarchisation double en réalité : des sociétés éloignées<br />

dans le temps, mais aussi et surtout des sociétés contemporaines les unes des autres. Les<br />

différences périodisables sur un axe temporel, sont alors spatialisées en synchronie dans<br />

l'espace géographique : en plaquant sur une représentation spatiale les différences<br />

préalablement distribuées sur cette ligne d’évolution générale et unitaire, cette<br />

représentation spatiale cesse de figurer une commune contemporanéité et devient au<br />

contraire un espace de répartition de « degrés de développement », de « retards », de<br />

« blocages », d'anachronismes ou d'archaïsmes, en fonction d'une norme implicite de<br />

développement qui localise géographiquement ce qui est réellement « actuel » dans le<br />

présent (l'Europe, l'Occident, les pays « civilisés » ou « développés »).<br />

Pour critiquer un tel présupposé, Lévi-Strauss n'adopte pas une solution de<br />

facilité : il ouvre son argumentation en considérant un aspect de l’histoire de la<br />

civilisation pour lequel la notion de « progrès » semble être la moins sujette à caution :<br />

le processus d’hominisation au point où la paléontologie préhistorique laisse place à<br />

l’histoire de la civilisation à proprement parler. Suivant un schéma simple longtemps<br />

adopté par les paléontologues, nous pourrions suivre une série d’étapes nous conduisant<br />

de l’âge de la pierre taillée à l’âge de la pierre polie, aux âges du cuivre, du bronze, et<br />

du fer. Suivant un procédé de périodisation usuellement adopté, on pourrait alors<br />

distinguer schématiquement le Paléolithique, âge de la pierre taillée (paléolithique<br />

inférieur – moyen – supérieur) ; le Néolithique, âge de la pierre polie et de la naissance<br />

de la poterie en céramique, et plus largement période de profonde mutation socioanthropologique<br />

(ce que l'archéologue Gordon CHILDE appellera la « révolution<br />

néolithique »), marquée par la sédentarisation et le passage d’une économie de<br />

prédation (chasse, cueillette) à une économie de production, impliquant le<br />

développement des techniques agraires, de sélection des plants et semis, de<br />

domestication des animaux, des formes d’habitat fixe (sans doute corrélée à une forte<br />

augmentation démographique), et des premières structures sociales centralisées,<br />

politico-religieuses. De ce point de vue, la néolithisation apparaît à des dates fort<br />

différentes selon les foyers civilisationnels (indépendamment même du problème des<br />

consommation, croient avoir opéré une conversion janséniste en retrouvant un thème romantique cher à la<br />

pensée allemande : la nostalgie de la Réserve originelle d’authenticité où les êtres reposent à l’abri de<br />

l’altération, de la dégénération. La Réserve où tout est préservé. Ce thème, l’histoire l’a montré, dissimule<br />

souvent, sous le charme de l’archaïsme, le vertige du nihilisme » (G. CANGUILHEM, « La décadence de<br />

l’idée de Progrès », in Revue de métaphysique et de morale, 1987, n° 4, p. 450-451). (Rappelons que le<br />

texte de C. Lévi-Strauss Race et histoire est issu d'une conférence prononcée à l’UNESCO en 1951 dans<br />

le cadre d’un colloque sur « La question raciale devant la science moderne »).<br />

56 Outre C. LEVI-STRAUSS, Race et histoire, op. cit., le chap. 5, on pourra également consulter pour ce<br />

point les Entretiens avec Claude Lévi-Strauss édité par G. CHARBONNIER, Paris, Gallimard « Folio »,<br />

ch. 2 et 3, qui fournissent une introduction didactique aux thèses de l’ethnologue.

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