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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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passé. On n'entendra pas cette expression comme une formule redondante ou<br />

tautologique, puisque la temporalité de la tradition a précisément en propre de tenir que<br />

le passé n'est en réalité jamais « passé », qu'il n'est a fortiori jamais dépassé par un<br />

présent qui au contraire fait corps avec ses héritages. L'historicisation du passé<br />

s'exprime dont nécessairement, non seulement dans une mutation de la représentation de<br />

l'histoire, mais corrélativement aussi dans un changement de la représentation de ce que<br />

c'est que le « présent », de ce qui fait l'actualité du présent – où suivant une expression<br />

qui prend une grande importance au XIXe siècle (ainsi chez Baudelaire) : la conscience<br />

de l'actualité à laquelle on appartient comme « modernité ». Chaque époque, pourrait-on<br />

penser, peut définir son présent comme modernité. Mais précisément, toutes les sociétés<br />

à toutes les époques ne l'ont pas fait. L'idée d'« être moderne » n'a aucune universalité<br />

dans l'histoire des cultures. Cette étrange habitude de se penser soi-même comme étant<br />

« les Modernes », suppose au contraire une forme particulière de conscience du temps<br />

et de l'histoire qui apparaît elle-même à un moment historique déterminé. En Europe, on<br />

peut lui associer l'essor, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d'un concept nouveau pour penser<br />

le temps historique, celui de progrès. On peut aussi l'aborder par un événement qui, sans<br />

surestimer sa valeur de cause ou de déclencheur, peut cependant servir de révélateur des<br />

implications intellectuelles de cette nouvelle forme de conscience collective qui, à la<br />

fois, et comme les deux versants d'un même geste, historicise le passé, et définit son<br />

présent comme modernité, connotant par là, sinon que ce présent dépasse son passé, du<br />

moins qu'il ne se réduit pas à sa simple continuation ou sa simple résultante, mais qu'il<br />

en diffère comme un moment original ou nouveau de l'histoire.<br />

L'historien et théoricien de la littérature Hans Robert JAUSS a proposé de voir<br />

l'émergence d'une telle notion de « modernité », comme forme de la conscience<br />

historique polarisée par la mise à distance de la référence au passé et de l'autorité de la<br />

tradition, dans la Querelle des Anciens et des Modernes, qui agite au tournant des XVIIe<br />

et des XVIIIe siècles les cercles des Académies et les salons parisiens. A cette illustre<br />

controverse, dans laquelle en quelques années à peu près tout ce que l’époque compte<br />

de littérateurs et d’honnêtes hommes seront amenés à prendre parti, on date parfois<br />

l'ouverture du « Siècle des Lumières ». Elle marque en tout cas un moment important<br />

pour l'historicisation de la représentation des beaux-arts, et, partant, pour l'émergence de<br />

l'idée d'une histoire de l'art 26 .<br />

La « querelle » se déclenche en janvier 1687 (bien qu’elle ait des épisodes<br />

précurseurs depuis plusieurs décennies déjà 27 ), quand l’écrivain Charles PERRAULT<br />

lance, dans son poème Le Siècle de Louis le Grand lu devant l’Académie française, et<br />

alors que nous sommes en pleine apogée d’un classicisme nourri de cultures grecque et<br />

latine, une charge contre ces dernières. A travers elles, sont en réalité visés ces<br />

contemporains – mais dénommés aussitôt et significativement les « Anciens » – qui se<br />

voient reprocher de prêter une adhésion inconditionnée aux oeuvres de l'antiquité<br />

érigées en modèles, sources de valeurs et de normes esthétiques intemporelles. Par<br />

26 Voir H. R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception, tr. fr., Paris, Gallimard, « Tel », p. 178 sq. et<br />

192 sq.<br />

27 Sur ces épisodes précurseurs de la Querelle, voir Antoine ADAM, Histoire de la littérature française au<br />

XVIIe siècle, Paris, Editions Mondiales, 1962, t. III, p. 125 et suiv. (sur Marolles, Louis Le Laboureur et<br />

le cercle de Habert), et p. 143-148. Sur les enjeux de cette controverse, et sur ce qu'ils révèlent d'une<br />

mutation de la « conscience historique » dans le champ de la culture, ou de la perception de l'historicité<br />

des normes dans les arts et les sciences, voir Hans JAUSS, Pour une esthétique de la réception, op. cit.,<br />

p. 192-198 ; et le livre de la sociologue et historienne de l'art Nathalie HEINICH, Du peintre à l’artiste,<br />

Paris, Minuit, 1993, chap. V (notamment les p. 158-161 et suiv.).

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