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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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théogoniques, explique Vernant, le discours mythique ne saurait chercher à faire<br />

« revivre ce qui n'est plus et lui donne[r], en nous, une illusion d'existence », comme le<br />

ferait au contraire, dit-il, le savoir historien :<br />

A aucun moment la remontée le long du temps ne nous fait quitter les réalités actuelles. En nous<br />

éloignant du présent c'est seulement par rapport au monde visible que nous prenons de la<br />

distance : nous sortons de notre univers humain, pour découvrir derrière lui d'autres régions de<br />

l'être, d'autres niveaux cosmiques, normalement inaccessibles : au-dessous, le monde infernal et<br />

tout ce qui le peuple, au-dessus le monde des dieux olympiens. 139<br />

En ce sens, le temps mythique ne vise pas à explorer le « passé », mais à le<br />

transformer en une « partie intégrante du cosmos » actuel. Pour revenir à l'interprétation<br />

de De Certeau, celle-ci paraît réincorporer dans le savoir historien cette dimension<br />

symbolique du récit mythologique. De la voix de l'historien, on peut dire ce que Vernant<br />

écrivait de la mémoire mythique :<br />

Elle ne renconstruit pas le temps ; elle ne l'abolit pas non plus. En faisant tomber la barrière qui<br />

sépare le présent du passé, elle jette un pont entre le monde des vivants et cet au-delà auquel<br />

retourne tout ce qui a quitté la lumière du soleil. Elle réalise pour le passé une “évocation”<br />

comparable à celle qu'effectue pour les morts le rituel homérique de l'ekklèsis [Homère, Odyssée,<br />

X, 515 sq., et XI, 23 sq.] : l'appel chez les vivants et la venue au jour, pour un bref moment, d'un<br />

défunt remonté du monde infernal ; comparable aussi au voyage qui se mime dans certaines<br />

consultations oraculaires : la descente d'un vivant au pays des morts pour y apprendre – pour y<br />

voir – ce qu'il veut connaître. Le privilège que Mnèmosunè confère à l'aède est celui d'un contact<br />

avec l'autre monde, la possibilité d'y entrer et d'en revenir librement. Le passé apparaît comme<br />

une dimension de l'au-delà 140 .<br />

Faut-il renvoyer cette opération symbolique apparentant le récit historique à un<br />

rite d'invocation des âmes défuntes, aux balbutiements infantiles d'une histoire préscientifique<br />

? Mentionnons plutôt ici l'illustre Préface de 1833 de Jules MICHELET à<br />

son Histoire de France, amorçant un labeur de près de quarante années (commencé en<br />

1830, Michelet ne l'achèvera qu'en 1867), et où, relatant ses premiers pas dans les<br />

Archives Nationales dont il dirigeait la section historique, il met en scène son arpentage<br />

des « cimetières de l'histoire » – premier voyage au pays des morts...<br />

Pour moi, lorsque j'entrai la première fois dans ces catacombes manuscrites, dans cette nécropole<br />

des monuments nationaux, j'aurais dit volontiers, comme cet Allemand entrant au monastère de<br />

Saint-Vannes : Voici l'habitation que j'ai choisie et mon repos aux siècles des siècles !<br />

Toutefois je ne tardai pas à m'apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu'il y avait un<br />

mouvement, un murmure qui n'était pas de la mort. Ces papiers, ces parchemins laissés là depuis<br />

longtemps ne demandaient pas mieux que de revenir au jour. Ces papiers ne sont pas des papiers,<br />

mais des vies d'hommes, de provinces, de peuples. D'abord, les familles et les fiefs, blasonnés<br />

dans leur poussière, réclamaient contre l'oubli. Les provinces se soulevaient, alléguant qu'à tort la<br />

centralisation avait cru les anéantir. Les ordonnances de nos rois prétendaient ne pas avoir été<br />

effacées par la multitudes des lois modernes. Si on eût voulu les écouter tous, comme disait ce<br />

fossoyeur au champ de bataille, il n'y en aurait pas eu un de mort. Tous vivaient et parlaient, ils<br />

entouraient l'auteur d'une armée à cent langues que faisait taire rudement la grande voix de la<br />

République et de l'Empire.<br />

Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s'il vous plaît. Tous vous avez droit sur<br />

l'histoire. L'individuel est beau comme individuel, le général comme général. Le Fief a raison, la<br />

Monarchie davantage, encore plus la République !... La province doit revivre ; l'ancienne<br />

139 J.-P. VERNANT, Mythe et pensée chez les Grecs, op. cit., p. 87.<br />

140 Ibid.

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